Né d’aucune femme
de Franck Bouysse

La belle au bois dormant

Écrivain plusieurs fois récompensé, notamment pour ce roman, Franck Bouysse est un auteur à l’écriture fluide, très agréable – même si ce qu’il raconte ne l’est pas toujours – pleine d’images et d’associations étonnantes. Avec talent, il nous emmène dans un univers cruel et surprenant, dans une ambiance très datée, on est au milieu du XIXe siècle avec des pauvres qui n’en peuvent plus et des riches eux-mêmes au bout du rouleau, même s’il leur reste encore du bien qu’ils aimeraient transmettre. Et c’est là le problème.

« L’enfant attend encore une poignée de seconde. Une douce peur frémit sous sa peau, une de ces peurs délicates qui mènent à l’inconnu. Il ouvre la porte de la stalle, entre, la repousse et s’en tient là. Le cheval renâcle, recule, se calme un peu et s’immobilise contre le mur du fond ; il ressemble à une pierre de jais enfoncée dans un banal rocher, une enveloppe démoniaque où brûlent des feux. L’enfant n’est rien face à l’animal ; il le sait, et pourtant il marche vers lui, ses pieds nus foulent la paille maintes fois tassée par la bête prodigieuse, qui dresse fièrement la tête sans jamais la baisser tout à fait. »

C’est presque un conte de fées, façon Barbe Bleue, avec une pauvre jeune fille, 14 ans, qui se fait acheter à ses parents, des paysans qui ne s’en sortent pas, tout ça pour faire la servante chez de grands propriétaires terriens. La scène de l’enlèvement de cette jeune fille achetée est poignante de tristesse. Quand on comprend ça, c’est-à-dire qu’elle sera juste leur cendrillon, on se sent pris d’un lâche soulagement : après la scène bien pénible de l’enlèvement de la gamine, on avait anticipé d’autres horreurs.

Mais on n’est pas au bout de nos peines. L’intrigue rebondit, les tensions se renforcent et on se prend à espérer que la petite Blanche-neige, perdue dans les bois, va réussir à trouver de l’aide. Car la gamine est sacrément maligne, même si elle vient d’un monde qui ne lui a pas donné toutes les clés pour contrer ce qui se trame contre elle.
On la suit d’épreuve en épreuve, on voit qu’elle peut compter sur son père qui regrette l’avoir vendue, sur un jeune homme du château qui a pitié d’elle, et on se prend à espérer, pauvres nigauds que nous sommes, que le médecin de famille, ou même le curé du village vont la sortir de là.
Mais parfois, les nigauds peuvent avoir raison, rien n’est exclu dans ce roman magnifique, tout est possible.

Un excellent roman, qui mérite tous les éloges qu’on a pu dire sur lui.

François Muratet

Né d’aucune femme, Franck Bouysse, La manufacture de lIvres, 2019

NÉ D AUCUNE FEMME Photo Gina Cubeles 2025