Le dernier roman de Marion Brunet est le récit d’un combat, celui d’une mère un peu marginale pour vivre sa vie comme elle veut, avec son fils de six ans qu’elle emmène partout, qu’elle a du mal à récupérer à l’heure à l’école parce que c’est chaud d’élever seule un gamin, et que les cabanons en bord de mer à Marseille c’est sympa aux beaux jours, mais y vivre toute l’année, c’est plus compliqué même si c’est plus beau, même si c’est moins cher qu’un appartement en ville. Vanda est une jeune femme qui continue à vivre comme si elle avait 18 ans, comme si le lycée n’était pas si loin derrière, qui aime les bars et se couche tard, quand elle en a marre de s’amuser et que la fatigue appuie sur les yeux.
« Ce bar, c’est une fausse famille à force, des gens avec qui rire sans en avoir vraiment envie, des ivrognes qui deviennent plus familiers que les cousins avec qui on faisait les marioles ou que ses propres gosses. Il n’y a que dans cet endroit qu’on peut encore écouter des groupes de punks qui font de la musique comme on défonce un abribus ou un distributeur de billets. Du rock un peu sale pour des fêtards d’un même tonneau. Ici, il y en a d’autres qui lui ressemblent, des abîmés qui ont oublié de vieillir. Vanda boit sa vodka d’un seul mouvement, une longue gorgée qui pique à peine, repose le verre sans douceur sur le comptoir. »
Le combat de Vanda est celui d’une femme qui n’a pas l’intention de se couler dans le moule, de renoncer à sa liberté, de se mettre au service de qui que ce soit. Pourtant il faut bien travailler et l’hôpital psychiatrique lui permet de gagner sa vie, mais aussi de la perdre en s’épuisant dans les tâches de femme de ménage, les transports quand la voiture ne veut plus démarrer, les horaires impossibles à tenir. Alors elle fait la fête, elle boit encore et rencontre des garçons, mais jamais elle n’oublie le petit Noé avec lequel elle a une relation fusionnelle, un amour bien plus intense et exclusif qui ne laisse de place à rien d’autre.
Et le père là-dedans ? Et bien justement, le voilà, il revient à Marseille après être parti à Paris et avoir construit un début de carrière dans le graphisme. Il retrouve Vanda qui l’a plaqué il y a sept ans, il se souvient encore de sa peine mais c’est passé, il est curieux de savoir ce qu’elle a fait de sa vie depuis. Il apprend qu’elle est devenue mère entretemps et elle lui annonce que c’est lui le père. Coup de tonnerre. Il y en aura d’autres. Dans ce roman les annonces pèsent lourd sur le destin des personnages, les secrets feraient mieux de rester des secrets, ça finirait moins mal (en général).
Vanda est un personnage magnifique, on l’aime avec sa détresse, sa violence, on voit bien qu’elle est fragile, on sait qu’elle tient à peine debout et que son fils assure sa stabilité, c’est lui qui donne du sens à sa vie, c’est lui le trésor qui suit du doigt ses tatouages comme si sa mère était un livre d’images rien que pour lui.
Simon, le père, enfin plutôt le géniteur, n’est pas le mauvais gars. Lui aussi a eu des passages difficiles, et là, à Marseille, avec son fils, la paternité révélée, les amis retrouvés, un appartement en héritage, tout commence à prendre une belle consistance :
« Il rejoint le bord de mer et longe la côte, décide de s’arrêter boire un verre dans chaque bar qu’il croisera pour fêter sa métamorphose, il se prend pour un homme enfin, se sent plus épais, moins transparent depuis qu’il sait qu’il a un fils, ou alors c’est la bière, les rois les dieux la chance la victoire, amen. Il est prêt à se battre, maintenant. »
C’est le moment où on se dit que Marion Brunet nous a écrit un roman un peu facile, parce que c’est sûr que ça va bien se passer, Vanda mérite que l’improbable arrive, que l’amour renaisse, que la famille soit assemblée enfin, c’est bien pour ça qu’elle a révélé sa paternité à Simon, non ? Mais voilà, il se passe autre chose, bien autre chose. Musicalement, c’est carrément plus proche des Sex Pistols que des Bee Gees. Les événements se succèdent, s’emballent, et nous voilà pétrissant le livre avec l’envie de dire « mais non … »
Car Marion Brunet écrit du noir. Derrière son écriture précise et évocatrice, pas du tout manichéenne, avec ses ambiances compactes et ses personnages secondaires attendrissants – pas tous, hein, il y a quelques salopards – son roman parle d’un monde cruel, le nôtre, où les sans grade ne pèsent pas lourd, où l’ascension des derniers de cordée est pleine de surplombs et de plaques de glace. C’est aussi une écriture de la contestation, qui parle du droit à la différence, à être libre, à vivre de son travail sans craindre les petits chefs, à manifester sans être matraqué à terre par une police délaissée – au sens où elle n’a plus de laisse – à vivre dans un cabanon avec son fils sans être menacée par les services sociaux, à aimer qui on veut.
Parce que le corps des femmes appartient aux femmes, et les enfants, qui viennent du corps des femmes, n’appartiennent sûrement pas à leur géniteur.
Vanda est un roman magnifique et émouvant, féministe et engagé, désespérant mais tellement vrai, un roman à lire évidemment.
François Muratet
Vanda, de Marion Brunet, Albin Michel, février 2020