Positive, chaleureuse et déterminée, Paulette Sarcey témoigne
Il y a Maus de Art Spiegelman, Si c’est un homme de Primo Levi, et parmi les autres grands témoignages de l’extermination des juifs par les nazis, il y a l’entretien filmé de Paulette Sarcey. Ce récit en plan fixe, ponctué par les relances de Jean-Patrick Lebel, nous plonge dans la jeunesse de Paulette, née de parents juifs polonais émigrés en France. Elle a seize ans quand elle entre dans la résistance et vingt-et-un quand elle sort du camp de Ravensbrück. Avant d’arriver dans ce camp tout à la fin de la guerre, elle est passée par les services de la police française, Drancy, Auschwitz, où elle est restée deux ans, et la marche de la mort. Paulette Sarcey, une femme vive et précise, témoigne de cette traversée de l’enfer à un âge où l’on capte tous les détails. Et ce d’autant plus qu’elle résiste, sabote, organise, crée des réseaux avec son groupe d’amis. Elle dit sa chance, ses chances, malgré l’horreur dans laquelle elle se trouve plongée, la mort tout autour d’elle et sa menace permanente, les insoutenables violences physiques et psychologiques, cinq années durant. Paulette Sarcey nous raconte d’où elle vient, qui étaient ses parents, la résistance et la déportation mais aussi la libération, son retour, le procès de Francfort qui fut une mascarade et les conditions exceptionnelles de sa résilience.
Le récit est dense, juste dans ses descriptions, plus touchant qu’émouvant car Paulette Sarcey n’arrache pas de larmes au spectateur, bien qu’elle-même se trouble parfois. Elle témoigne pour tous ceux qui ne sont pas revenus, de la cruauté des nazis mais aussi du courage de Mala et de son compagnon, évadés d’Auschwitz et rattrapés, de l’explosion d’un four crématoire, de toutes les actions qui ont eu lieu, si minimes qu’elles fussent, pour entraver le projet fasciste. Elle nous raconte sa planque, les sabotages à Paris aussi bien que le Comité International d’Auschwitz, organe de résistance et de solidarité dans le camp.
Ce témoignage, c’est une voix qui parle de l’intérieur d’Auschwitz, qui nous fait voir le Canada, les baraques, les douches dont elle ne savait jamais s’il en sortirait de l’eau ou du gaz ; qui nous fait rencontrer les personnes qui ont vécu là, Orly la femme qui portait le n° 6, Mengele le médecin sanguinaire qui torturait des enfants, Régine l’institutrice déportée, la femme qui a accouché, les SS, etc. Paulette Sarcey nous décrit les files d’attente vers les chambres à gaz et comme avec ses compagnes, elles prévenaient, à travers les barbelés, les arrivants de leur funeste destin ; les encourageant à se révolter.
Ce sont 2h45 de récit simple, direct et concret, qui filent comme le vent et nous ébouriffent, 2h45 qui nous font grandir de si bien comprendre ce qui s’est passé, de rejoindre cette vision claire et la volonté de faire tout ce qui se peut pour que cela ne se reproduise jamais.
Paulette Sarcey est décédée il y a quelques jours, à l’âge de 96 ans, ses obsèques ont eu lieu dans l’intimité du fait de la crise sanitaire. Elle a heureusement eu juste le temps de voir le DVD de son témoignage enfin accessible au public, avant de nous quitter définitivement. Grâce à ce film elle est toujours là, positive, chaleureuse et déterminée sur les images de ces rushes réalisés pour un autre film : Cité de la muette, film documentaire de Jean-Patrick Lebel qui raconte Drancy. C’est donc un coffret de deux films à découvrir et à partager, une plongée exceptionnelle dans l’Histoire vivante du génocide perpétré par les nazis.
Alegría Tennessie
Entretien avec Paulette Sarcey de Jean-Patrick Lebel, 1983, 2h45, dans Cité de la Muette, coffret double DVD avec livret, co-édité par Ciné-Archives et Périphérie, 2020
Bande annonce : https://www.youtube.