A la question du procureur sur les raisons qui le poussèrent à rentrer à Moscou après s’être enfui à Paris, le comte Alexandre Ilitch Rostov, imperturbable, répondit : « Le climat me manquait. » Après une brève délibération, le comte fut condamné à rejoindre l’hôtel Metropol où il avait déjà passé quelques années de détention.
Arrivé en terrain connu et salué de tous, il atteignit la suite du deuxième étage dont « les hautes fenêtres donnaient sur les tilleuls de la place du Théâtre », pensant reprendre le fil des jours passés. Au lieu de quoi, le capitaine qui l’escortait lui montra ses nouveaux quartiers, trois étages plus haut, dans un grenier passablement encombré…
Après avoir récupéré quelques effets personnels, Alexandre Illitch mit un peu d’ordre dans son nouvel habita, sous l’œil d’un chat « bleu de Russie borgne qui ne laissait jamais rien de ce qui se passait entre les murs de l’hôtel lui échapper », puis retrouva ses amis, Andreï, le maître d’hôtel, Vassili, le concierge et Marina, promue couturière, avec lesquels il trinqua joyeusement à leurs retrouvailles. « A dix heures, le comte accompagna ses hôtes jusqu’au beffroi et leur souhaita bonne nuit avec le même souci du cérémonial que s’il s’était trouvé sur le perron de la demeure familiale à Saint-Pétersbourg. »
L’hôtel Metropol est le lieu privilégié des dîners officiels et des réunions politiques, témoin parfait de l’histoire de la Russie des années trente et de l’ambiance qui règne à Moscou à cette époque. C’est aussi le lieu où l’on raconte des histoires de princesses, où l’on croise des actrices, des touristes émerveillés, des journalistes et autres personnages influents de tous pays, C’est là, donc, que réside Son Excellence, le comte Rostov, aristocrate né à Saint-Pétersbourg qui, nullement déstabilisé par sa détention, donne vie à cet espace clôt, somme toute plutôt confortable, qui devient, au quotidien, ville, voire pays tout entier. Habitué à voir le meilleur en chacun, il met son éducation et son érudition au service d’un sens de l’observation inné et d’une rapidité de jugement qui lui permettent de dénouer les situations les plus improbables avec élégance.
Ce roman en forme de poupée russe ne cesse de nous surprendre et de nous enchanter. Par son verbe enjoué, parfois grave, le narrateur rend un bel hommage à la culture russe. On entend Pouchkine, Dostoïevski, Maïakovski, on déguste les mets et les vins qui rappellent le temps d’avant et l’on assiste aux drames qui accompagnent les transformations de la Russie soviétique.
« Alexandre Rostov n’était ni un scientifique, ni un sage ; mais à l’âge de soixante-quatre ans il était suffisamment averti pour savoir que la vie n’avance pas à pas de géant. Elle se déplie. Elle est l’expression d’un millier de transitions… » La vie du comte se déplia tant et si bien… mais c’est une autre histoire !
Elisabeth Dong
Un gentleman à Moscou, d’Amor Towles, Le livre de poche, 2018
Illustration Rosa Raich, Acrylique sur papier, 1997