Dix-sept ethnologues nous emmènent à la rencontre de dix-sept communautés d’ascètes et de moines à travers le monde. Ils tentent, sur la base d’une journée, de mesurer « les frontières de l’intime, les différentes formes de souci de soi, la difficulté ou la facilité à vivre, le poids de la conviction, le rôle de la personnalité, l’impact du rythme de la vie, les répercussions des changements de société, les modalités de l’engagement, la créativité qui en émane, le caractère parfois crucial de l’humour dans la voie du détachement, ou d’une certaine légèreté d’être ».
L’étude dévoile une grande multiplicité de renonçants. Tous sont dotés d’une force de caractère hors du commun, faute de quoi il leur serait impossible de tenir le rythme quotidien. De l’aube au coucher, toujours en mouvement, toujours au service. Beaucoup sont diplômés et maîtrisent parfaitement les règles du marketing. Toutes et tous savent mettre l’intelligence au service de leur ascèse et la replacer dans leur environnement. Parfois encore, jaillit la colère ou la jalousie, ornements humains sur cette voie extrême. Oubliant un temps la compassion, une sœur montre ouvertement son mécontentement quant à l’attitude de deux familles. Ailleurs, le conflit survient entre deux novices à propos d’une simple assiette de gruau. Dur apprentissage de la vie en collectivité !
Si pour Jalali, fakir pakistanais, renoncer au monde laïc ne passe pas encore par la modernité, le moine du monastère Shaolin, lui, a parfaitement intégré le principe de la pointeuse lui permettant de vérifier la présence des disciples au rituel du matin en son absence.
Nul zèle dans ces lieux sacrés où l’ascèse doit être accueillie et non subie, ainsi les paroles bienveillantes d’une moniale sud-coréenne à une jeune postulante : « Toute sa vie, on doit travailler au service des autres, sans grand amusement. Au début, toutes les novices doivent vivre ensemble pendant plusieurs années : on n’est jamais seul et il faut s’adapter à des gens que l’on n’a pas choisis… C’est une vie difficile… Si on regrette son choix, si on a mal pris sa décision, c’est insupportable ensuite. »
Le livre refermé, s’éloignent les prières dans l’air froid du matin, les rires aux heures de récréation, Jalali et ses vapeurs de haschisch, le père Cassien qui a renoncé à étudier le grec, trop difficile, le moine médecin birman qui aime taquiner ses patientes, seule façon de soigner une femme en coupant court aux critiques… Si différents, si semblables dans leur cheminement.
« Ce qui surprend au regard de l’extrême sévérité des renoncements, des règles et des expiations, c’est la sociabilité foisonnante qui entoure les ascètes… » Ils « ont dénoué les liens sociaux et franchi la clôture des grands vœux, mais ils ne sont jamais dans la solitude humaine ! »
Elisabeth Dong
Une journée dans une vie, une vie dans une journée – Sous la direction de Adeline Herrou, Puf, 2018
Photo : Merigar West