Et la femme créa le rock’n’roll …
Ainsi donc, le premier guitar hero était une héroïne ; Sister Rosetta Tharpe, qui enregistra le titre Rock me dans les années 30, soit avec plus d’une décennie d’avance sur l’histoire officielle du rock. Qui l’eût cru ?
Née en Arkansas en 1915 de parents ramasseurs de coton, Rosetta est emmenée dès son plus jeune âge à la Church of god in Christ, église pentecôtiste où les femmes peuvent prêcher comme les hommes. Elle y chante dès l’âge de quatre ans et à six, elle y est reconnue comme un prodige de la guitare. Lorsque son père quitte le foyer conjugal, Rosetta suit sa mère à Chicago et se fait repérer alors qu’elle chante des gospels à l’église. En 1934, elle crée le premier hit à « traverser les lignes de couleurs ». Elle se produit aussi bien dans les églises que dans les night-clubs, fait deux mariages désastreux, enchaîne les relations avec hommes et femmes, et devient de plus en plus célèbre. En 1945, elle enregistre Strange things happening everyday où l’on peut entendre le tout premier solo de guitare du rock’n roll.
La vie de Rosetta Tharpe est celle d’une femme libre. Elle est tout d’abord la première artiste à avoir un bus à son nom, muni de couchettes pour ses tournées, et déjouer ainsi le ségrégationnisme en vigueur aux États-Unis. Plus tard, bravant l’Amérique raciste et sexiste des années 40, elle part seule sur les routes avec sa compagne, la chanteuse Marie Knight, qui joue aussi du piano et des percussions, avec tous les risques que cela suppose. Les deux femmes, très unies sur scène, forment un duo explosif, extrêmement populaire, qui prendra fin en 1950. Un an plus tard, Rosetta Tharpe épouse son manager, lors d’un mariage célébré dans un stade bourré à craquer. Plus de 20 000 personnes, chargées de cadeaux, allant des couverts de table aux postes télé, assistent à la cérémonie qui se termine en concert.
Live in England 1964
Sister Rosetta Tharpe n’était donc pas une inconnue. Elle a été, en son temps, la chanteuse de gospels la plus renommée des États-Unis, a fait des tournées en Europe. Sa façon de jouer de la guitare électrique a été déterminante pour l’histoire de la musique. Morte en 1973, loin de toute reconnaissance, elle va pourtant disparaître du récit.
Même si la femme qui inventa le rock’n’roll est peu à peu redécouverte à partir des années 2000, et plus particulièrement au croisement de Me too et de Black Lives Matter, il faudra attendre 2018 pour qu’elle entre au Rock and Roll Hall of Fame and Museum.
Alors, nous pouvons nous poser la question : Comment se fait-il que celle qui a découvert, puis propulsé sur scène Little Richard, la précurseuse de Johnny Cash, Carl Perkins, Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, dont Chuck Berry reconnaissait l’influence directe, ait pu basculer ainsi dans l’oubli? Et, concomitante à celle-ci : Combien y en a-t-il d’autres ?
Kits Hilaire
Rosetta, La femme qui inventa le rock’n’roll, de Jean Buzelin, éditions Ampelos, 2021