La petite, grandit coûte que coûte dans une Rome bien loin des cartes postales. Dans cette ville faite de précarité et d’abandon social, à l’ombre d’Antonia, une mère salutaire et encombrante, elle est déterminée à mener sa barque conformément aux attentes de sa génitrice. Celle-ci, véritable héroïne de la débrouille, encaisse les coups que la vie lui envoie. Affublée d’un mari tombé d’un échafaudage lors d’un chantier non déclaré – amer infirme entièrement dépendant d’elle -, courant après des aides sociales qui ne lui sont jamais accordées, obtenant de haute lutte un sous-sol malsain du corso Trieste – qui donne sur une cour pleine de seringues usagées – où la famille s’entasse tant bien que mal et qu’elle doit se battre pour conserver, Antonia, mère de quatre enfants, ne flanche pas sous les uppercuts et tient les rênes d’une main d’acier…
Mariano et moi avons acquiescé, nous étions faits de miettes, nous étions des enfants, nous n’avions ni jouets ni maison, mais nous écoutions bien (…) Qu’importe si les autres coulent, si on leur attribue des torts aussi fantaisistes que fictifs, ce qui compte c’est que je sois à flot, que j’affleure à la surface.
L’existence est un combat permanent pour cette femme aux prises avec les aléas de son boulot de femme de ménage qui attend de sa fille qu’elle fasse des études pour les arracher tous à leur condition misérable. La pression est rude pour la petite. Bonne élève par nécessité vitale, elle travaille d’arrache-pied pour grappiller un point de plus à chaque devoir. Jamais de douceur ; un vague cadeau pour un anniversaire pas vraiment souhaité, pas de fête de Noël – le père Noël n’existe pas, et basta. Ni câlins, ni bisous, juste l’avenir de la famille sur des épaules bien frêles pour ce poids-là et l’attente démesurée de sa mère, protectrice et ogresse, qui veille au grain et ne lui laisse aucun répit.
Je voudrais dire que nous mentons tous sur notre famille, c’est le repaire de nos mensonges les plus éhontés, où nous dissimulons notre identité, où nous nous inventons des fables, où nous nous protégeons des injustices, nous faisons le plein de clichés et nous nous barricadons derrière les cris, les hurlements, les mystères ; mais je n’en fais rien, je le regarde et demande : raconte-moi une autre histoire.
Un roman qui nous en dit long sur l’Italie d’aujourd’hui.
Kits Hilaire
L’eau du lac n’est jamais douce de Giulia Caminito, Gallmeister 2022
Photo © Gina Cubeles 2022