Leur morale et la nôtre
Ce court roman au titre accrocheur était perdu dans ma bibliothèque depuis quelques années, au milieu de tant d’autres livres à lire. Coup de chance, je l’ai retrouvé.
Le titre ne ment pas, il s’agit bien de tuer son patron, un PDG d’une grosse multinationale française, et on n’est pas dans du roman humoristique avec des pieds nickelés qui feraient n’importe quoi pour nous faire rire (ce qui pourrait être très bien), c’est du roman noir et social, avec une critique radicale du capitalisme, de la pauvre vie menée par les ouvriers, mais aussi par les cadres, qui courent partout et font semblant, et plus globalement du salariat. C’est aussi une critique du syndicalisme, jugé vain, trop gesticulatoire, trop arrangeant.
Le narrateur est un ouvrier qui a décidé d’arrêter d’être arrangeant. Il veut se venger de son licenciement, il ne supporte pas d’avoir passé tellement de temps dans cette entreprise à la con, à manipuler des produits chimiques dangereux pour ensuite se faire jeter comme un détritus. Il décide d’assassiner son patron, histoire de faire un exemple. Il met en place plusieurs stratégies, réussit à se faire réembaucher sous des faux noms (Guy Debord ou Paul Lafargue !) pour approcher le boss et pouvoir lui régler son compte.
Ce n’est pas évident d’écrire un texte social, dénonciateur, qui ne soit pas pédagogique et pour finir ennuyeux, mais là, bravo à l’auteur, c’est une vraie réussite. On est avec le narrateur, on est révolté comme lui, on a peur qu’il se fasse prendre, on se demande s’il va s’en sortir, s’il va y arriver, et on le trouve drôlement dégourdi, un peu James Bond, dans sa façon de se faufiler au plus près du patron.
Mais ce n’est pas facile d’être un assassin, même si on est en colère, même si on a la haine, surtout quand on a le projet après coup de profiter de la vie, par exemple avec la jolie Malika, plutôt que de passer vingt ans en prison.
Tue ton patron est un très bon roman, libertaire, réjouissant, très bien écrit, très efficace.
François Muratet
Tue ton patron de Jean-Pierre Levaray, Editions Libertalia & Unity Rockers, 2010
Illustration © Gina Cubeles 2023