Avez-vous vu
Sur les pas de ma grand-mère
de Lola Péploé ?

Cet hommage à la peintre Clotilde Péploé baigne littéralement dans l’irradiante lumière méditerranéenne qu’elle a poursuivie toute sa vie à travers ses tableaux. Sa petite-fille Lola, actrice et réalisatrice, emboîte en effet ses pas en chaussant les vieilles chaussures de cuir de la morte, qui ont escaladé tant de collines ensoleillées. Trente ans après sa disparition, la voilà enceinte et sensibilisée au thème de la transmission. De Clo-Clo, elle a des souvenirs parcellaires issus de son enfance, et un tableau représentant un petit bâtiment blanc, carré, dans un paysage dépouillé planté de vignes et bordé de montagnes bleutées. Ce petit bâtiment se retrouve dans d’autres tableaux, sous d’autres angles.

Emboîtant le pas à Lola, nous allons donc remonter jusqu’à la naissance de Clo-Clo, et même aux époques antérieures, jusqu’à son grand-père Adolf von Hildebran, célèbre sculpteur et théoricien de l’art qui avait acheté à Florence, en 1873, l’ancien couvent des minimes. Adolf eut cinq enfants, dont la mère de Clo-Clo, Lisl. Il n’était pas homme de préjugés et il encouragea sa fille à devenir peintre. Lisl se maria avec un jeune États-Unien, Christophe Brewster, qui mourut alors que ses trois enfants étaient encore petits. Elle ne se remaria pas, et éleva ses enfants dans une atmosphère d’exigence et de liberté. Cette mère peintre eut une influence déterminante sur Clo-Clo. Les deux femmes étaient extrêmement proches. Dès ses cinq ans, Lisl emmena Clo-Clo sur les routes d’Europe pour lui offrir une débauche de paysages. En peignant ensemble, mère et fille développèrent une amitié profonde et intense. Le film nous offre quelques tableaux de Lisl, qui semblent être dans un style préraphaélite aux couleurs chaudes. J’ai fait des recherches superficielles et je n’ai pour ma part trouvé qu’un tableau et sur un site général (où il n’est fait aucune mention du fait qu’elle était peintre) sa date et son lieu de naissance, de mort et ses liens familiaux. Merci Lola de lever un coin de voile sur cette artiste gommée encore plus qu’oubliée.

À l’âge de seize ans, Clo-Clo n’avait plus le moindre doute sur sa vocation. La lumière Italienne lui convenait parfaitement, mais la guerre allait précipiter des projets matrimoniaux qu’elle n’avait pas eu le temps de bien réfléchir avec Willy Péploé, lui-même fils d’un peintre écossais célèbre. Voilà le jeune couple emporté par les vents mauvais de l’histoire à Chypre, où du moins Clo-Clo peut peindre. Mais les choses ne s’arrangent pas et les voilà balayés jusqu’en Afrique, où Willy arrive à trouver du travail dans l’import-export. Clare naîtra en Tanzanie, Mark au Kenya. Clo-Clo, mère aimante mais à laquelle la maternité ne suffit certes pas, se retrouve happée dans la routine des soins aux enfants et des tâches domestiques. Pendant sept ans, elle ne peindra plus du tout. Un troisième enfant, Chloé, naît lors d’un séjour à Florence. À Londres, où le couple s’installe après guerre, Clo-Clo vit le même déracinement et la même aliénation. Elle sombre dans une sorte d’agonie psychique. Le reste de sa vie se développe comme un triptyque qui se déplierait : pour recommencer à peindre, elle retourne auprès de sa mère par petites périodes, puis sillonne les cyclades, et particulièrement Amorgós, où elle ne cessera de revenir jusqu’à la fin de sa vie, et Sérifos.

Peu à peu, la nostalgie qu’elle éprouve chaque fois qu’elle doit rentrer à Londres se mue en véritable mal du pays, qui l’invalide et la fait sombrer dans le désespoir. À Londres elle peint peu, la Tamise, les docks de l’East End. Elle finit par trouver un compromis à Ponza, une île du Latium, où ses enfants et sa mère peuvent la rejoindre lors des mois d’été. Puis les enfants grandissent, et elle finit par ne plus rentrer, s’immergeant de plus en plus profondément dans la pratique de son art, dans une solitude où l’accompagne le plus souvent de loin un prêtre catholique, Francis Bartlett, qui se voue pour sa part à la photographie, et avec lequel elle entretient un compagnonnage passionné et distant : ils se retrouvent peu et s’écrivent beaucoup, pendant quarante ans.

Les toiles de Clo-Clo forment un véritable chemin de lumière blonde soulignée de bleu à travers le film, qui est court (une heure cinq) et intense. Ses enfants, ses rencontres, ses proches sont invités à parler d’elle, dont Bertolucci, l’époux de Clare, qui fut son beau-fils. « Elle me sourit, elle pourrait être la fille de sa fille. »

Scandant ingénieusement le parcours de Clo-Clo, des fragments de ses lettres sont lus, et les paysages réels qui ont parfois changé, parfois pas, sont mis en contrepoint des tableaux. La matière de ceux-ci est si fine qu’on voit la toile au travers. D’une luminosité assourdie par la présence probable de craie mélangée à la peinture, mais qui n’en est que plus puissante, elles imposent une sorte de minimalisme de la couleur, quelque chose de vibrant et dépouillé comme ces paysages méditerranéens que Clo-Clo aimait au point de dépérir et s’asphyxier loin d’eux. Lola Péploé décrit sa grand-mère comme incroyablement sensible à la beauté, relevant des détails qui l’émerveillaient là où personne n’aurait rien remarqué. Plus jeune ses proches l’avaient surnommée la chèvre tant elle était toujours à escalader les chemins et grimper aux arbres. Cette femme sauvage et contemplative, indépendante et déterminée était probablement la moins célèbre de la famille avant que sa petite-fille lui rende hommage. Merci pour cette découverte, et pour la beauté limpide, simple et sincère, de cet hommage.

Lonnie