Contre-pieds
Jacques est un enfant de l’Assistance publique, il sort du bus pour aller dans la prochaine famille où il est placé, c’est dans une ferme, encore une fois. Il a 17 ans et ne connait pas grand chose de la vie, il a toujours été valet de ferme. Il ne sait pas que les Alliés viennent de débarquer en Normandie, que la fin de la guerre est proche. Il se retrouve embringué sans vraiment l’avoir décidé dans un groupe de résistants, des gars qui pensent qu’il a l’âge de s’engager. Il est content d’échapper à sa condition, de retrouver une sorte de famille, d’être considéré comme un égal tout en étant le plus jeune. L’aventure commence.
Ce dernier roman de Richard Morgiève est très différent des deux précédents que j’avais lus, deux excellents polars qui se passaient aux États-Unis dans les années 50-60, Le Cherokee et Cimetière d’étoiles (chroniqués dans Double Marge en 2021). On y retrouve une certaine poésie dans les descriptions, une belle inventivité et pas mal de contre-pieds dans les situations, mais cela reste très différent, ne serait-ce que parce que c’est écrit en « je ».
La premier contre-pied est dans la façon de parler de la Résistance. Jacques se retrouve au milieu d’une bande qui est portée sans doute par un idéal, mais qui se comporte comme un groupe de voyous, attirés par l’argent, pas regardant sur la vie des autres, y compris leurs copains, prêts à tous les règlements de compte, à toutes les justices expéditives. Le jeune garçon est manifestement protégé par une sorte de grâce divine, il passe à travers les nombreux coups tordus qui se déroulent autour de lui. Il attire la compassion et déclenche toutes sortes de mécanismes d’aide, il trouve toujours quelqu’un pour le sortir d’affaire.
Le deuxième contre-pied est l’aide qu’il reçoit d’un gars puissant, manifestement pas très éloigné des idées archaïques des nazis sur l’histoire, les Templiers, sans doute leader d’une sorte de secte qui a prospéré à l’ombre du pétainisme, qui vit la fin d’une époque. Un personnage fascinant.
Le troisième contre-pied réside dans la rencontre avec un déserteur de la division Das Reich, un jeune Alsacien dont il devient fou amoureux et qui va lui demander de terminer sa mission.
Le roman se déroule comme une sorte de road trip qui va emmener Jacques de l’autre côté de l’océan, qui le transporte de catastrophes en rencontres inattendues, dans une ambiance mortifère de fin du monde où le jeune homme peu à peu se révèle.
La Mission est un curieux roman, très agréable à lire, très audacieux dans sa façon d’évoquer la Résistance, très poétique dans ses images, dans ses soubresauts narratifs, dans ce personnage ballotté par la guerre auquel on s’attache.
Un roman à lire, bien entendu.
François Muratet
La mission de Richard Morgiève, Ed Joelle Losfeld, 2024
Photo : Richard Morgiève 3 © Gina Cubeles 2024