À pas aveugles Gina Cubeles 2024

À pas aveugles de par le monde
de Leïb Rochman

« S. revint dans la ville la semaine qui suivit la fin de la guerre. (…) Les rues du ghetto en ruine; briques, cheminées, poutres noires de suie (…) Les maisons, entourées de leurs grilles, semblaient avoir pris leur envol, dans l’élan irrésistible des explosions, emportant les hommes avec elles, pour retomber en masses informes, affalées, à genoux, leurs ailes brulées enveloppant la terre de leurs bosses et de leurs creux (…) elles blottissaient sous elles des vestiges agglutinés. Les hommes gisaient, par familles, les visages et les yeux dissimulés, sous des amas bruns et gris. Les gardiens s’étaient volatilisés. »

À travers une écriture hallucinée faite de passages romanesques, surréalistes, de monologues intérieurs, Leïb Rochman tisse des liens entre les différents personnages : vivants, morts et bourreaux.
Le livre suit S. dans une odyssée à travers une Europe dévastée où les (sur)vivants errent dans les cendres d’une humanité perdue. Comment accepter de vivre le présent et le futur quand le passé n’existe plus ?

« Je regardai de nouveau Annette (…) Elle sombrait, et il n’y avait rien pour la retenir. Je ne parvenais plus à bouger. Je restai cloué sur place (…) Annette restait captive de ma voix. Je jetai mes paroles en elle, comme des pierres dans un puits, pour les faire résonner en écho. Ces paroles descendaient de plus en plus profond. Je lui lançai comme une longue corde pour la sauver de la noyade. Je sentis le poids de son corps au bout, qui m’attirait vers elle dans l’abime. »

Écrit en yiddish en 1968, le roman nous interroge sur notre propre identité plurielle, sur la transmission du passé que nous avons en commun, préalable essentiel à accepter l’autre et à refuser la banalité du mal.

Maly Montagne.

À pas aveugles de par le monde, Leïb Rochman, édition Denoël & d’ailleurs, 2012