Avez-vous vu Un monstre dans la tête
de Christina Ebelt ?

Ce film suit tout le long de son parcours fracassé Sandra, une jeune femme aussi violente que le contexte dans lequel elle évolue. Il la suit en plans moyens ou gros, si bien que toute la narration adhère littéralement à sa personne. On la voit avec la mère impotente dont elle s’occupe tous les jours, dans la boucherie industrielle où elle bosse, avec son tendre et lunaire amoureux totalement dépassé. Car réellement Sandra est violente, beaucoup plus que ne le serait un homme lambda, et infiniment plus qu’on puisse l’imaginer pour une femme. C’est un véritable paquet de nerfs sous tension permanente, et qui ne voit pas bien, au début, où est le problème ni si vraiment problème il y a… Jusqu’à ce que sa propre réalité la rattrape de la façon la plus atroce.

Le film se construit sur un cheminement entrecoupé de flash-back qui peu à peu éclairent le présent faute d’illuminer l’avenir, dont on devine qu’il sera dur, mais au fond guère plus que ce qui a précédé et se déroule. Sandra est en prison, visiblement pour quelque chose de grave, puisqu’elle ne peut faire un pas sans être menottée et escortée. Elle est enceinte. On la rencontre tendue comme un arc, on a presque l’impression qu’elle pourrait produire le bruit d’un transformateur ou d’une dynamo tant Franziska Hartmann, qui l’incarne remarquablement, la présente le visage muré, dur, le corps hypertonique. On sent que ses émotions menacent toujours de la submerger et qu’elle tente sans cesse, pas toujours avec succès, de les endiguer.

Sans lui donner la moindre excuse, la cinéaste se contente de poser les faits et le contexte. Cette jeune femme explosivement colérique et peu armée face à la frustration encaisse pourtant un quotidien supérieurement contraignant. Sa mère ne semble pas l’aimer comme il faudrait, ou du moins elle s’y intéresse peu et n’est pas très empathique. La charge mentale qu’elle impose sans se poser trop de questions à sa fille, elle est même encline à l’étendre à ses copines. En revanche, elle a tendance à se fermer comme un oursin quand Sandra, toujours en quête d’approbation et de soutien, s’ouvre à elle. Le boulot est une usine où des ouvriers dont Sandra fait partie, en charlotte, combinaison, double paire de gants et surchaussures découpent de la viande à la chaîne sous des convoyeurs de carcasses et sur des paillasses alignées, et si le cinéma est rarement en odorama, on a l’impression, dans cet univers aseptisé et clinique, de sentir l’odeur de la viande crue, l’odeur du sang. Les ouvriers ne sont pas disposés de façon à pouvoir se parler, et c’est tout juste s’ils se disent bonjour bonsoir aux portes de l’usine.

Sandra est une bombe, toujours vêtue dans un sexy qui frise le grunge, elle a le nez dans le guidon et ne semble pas se poser trop de questions ni sur elle-même, ni sur ce qui l’entoure. Tout au long du film, personne ne la maltraite, mais personne ne la comprend non plus. Son amoureux, un mécano assez calamiteux mais tendre et toujours enthousiaste, la prend comme elle est, bien que ce soit un peu comme trimballer un cataclysme avec soi. Il est évident qu’il l’aime et reste loyal envers elle. Mais il ne la suit pas dans son délire. Et son délire, c’est d’avoir un enfant, même si elle sait qu’elle peut y laisser la peau depuis une première grossesse où elle a appris, en devant l’interrompre, que les joies de la maternité, pour elle, se trouveraient derrière des barbelés, voire la conduiraient au cimetière. Elle n’en a cure et voudrait être soutenue inconditionnellement, jusqu’au miracle. Les flics, les matons, tout le personnel pénitentiaire et péri pénitentiaire, s’ils ne la dorlotent pas particulièrement, sont humains, et parfois empathiques. Si bien que le pire ennemi de cette jeune femme, hormis un contexte social aveugle et sourd qui la verse dans les essoreuses ordinaires, est elle-même, et l’incapacité où elle se trouve à maîtriser ses accès de fureur. Tout au long du film elle donne l’impression d’être surdimensionnée et de se cogner sans cesse aux parois de l’existence.

Le film est tourné sans le moindre souci esthétique, de façon triviale et en collant au sujet. Cela le rend si réaliste que parfois on en oublierait qu’il s’agit d’une fiction. Les acteurs le rendent remarquablement humain et réaliste, si bien qu’on ne décroche pas un instant, et qu’on se prend à aimer ce chat sauvage qui blessure à blessure, réussit pourtant à matérialiser son rêve, sur un fil fragile et périlleux qu’elle doit sans cesse rapetasser. Mais elle avance, douloureusement, bravement, sur un chemin qui n’a pas été taillé pour elle. C’est un très beau film, avec des moments d’horreur et d’autres d’émerveillement pur, comme quand Sandra, entre personnels soignants et personnels pénitentiaires, les uns éloignant gentiment les autres pour ce moment unique, rencontre son bébé.

Lonnie