Photo © Adèle O’Longh

Balthazar et moi
de Christian Vigne

Un village, son maire et sa femme, un curé mort « sans discrétion », Madame Raskoff, vieille célibataire fidèle à la Smirnoff, une mercière à qui l’on commande du « vêtement couture » et Balthazar, ancien collègue de Marcel Billon – le protagoniste du roman. Une galerie de portraits où chaque personnage prend vie avec tendresse et malice. L’auteur, manifestement, connaît bien son terrain !

Tout commence le jour des obsèques de Madame Billon, dans l’indifférence de Marcel, son époux. À l’évidence, l’amour avait depuis longtemps déserté le couple, si tant est qu’il eût jamais existé. « D’elle, je ne savais pas grand-chose, je m’en foutais, pas méchamment, pas même intentionnellement, par paresse, on a déjà tellement de mal avec soi-même. » Pourtant, Marcel avait pris l’habitude d’aller fleurir la tombe de feu son épouse, occasion d’échanger quelques propos avec elle, histoire aussi de régler quelques contentieux. « Ça avait pris deux séances ou trois pas plus, avec l’âge on s’adoucit, on s’en tape, on accepte. »

Étonnant, Marcel ! Rien ne lui échappe de la médiocrité environnante. Doté d’une remarquable lucidité, il observe le monde avec une distance ironique. Lui, qui a depuis longtemps « acquis une culture du renoncement », esquive avec brio les mesquineries et coups bas de ses concitoyens.

Quelques années passent. Balthazar fait son apparition au village avec un projet : ouvrir une librairie-épicerie avec Marcel, histoire d’occuper leur retraite. « Préalablement à son arrivée chez moi, il s’était arrêté quelques instants au buffet de la gare, bien qu’il fût venu en voiture. Il n’était pas homme à se précipiter à un rendez-vous, avais-je déduit de son attitude raide et longue ; quand il mettait les mains dans les poches de son manteau, les coudes en arrière lui donnaient l’allure d’un requin égaré dans une verticalité terrienne. »… « Même à Madame Raskoff, qui se tenait à sa fenêtre, il n’avait pas échappé que cette scène d’arrivée présentait quelques vagues airs de roman d’espionnage… ». Débordant de vitalité, il prend les rênes de l’entreprise, tandis que Marcel, qui a l’habitude d’esquiver les obstacles, reste fidèle à lui-même, acquiesce et suit le mouvement.

Un jour, «… pléonastiquement pimpante », arrive la femme du maire dans la boutique. « Elle ne sortait jamais la femme du maire, elle n’aurait sûrement pas été fichue de distinguer une courgette d’un concombre. On ne la voyait jamais en ville. Il se tramait quelque chose. » Fatalitas. Enchaînement inévitable des événements. Voilà qu’un matin, au petit déjeuner, après que Marcel « eut dormi une fois encore chez Olga » (alias Madame Raskoff), Balthazar lâche une nouvelle sous forme d’évidence non négociable : « Vous devrez vous présenter aux élections, Marcel. » Alors, bien sûr, après « un – pardon – interrogatif et dilatoire », Marcel cède…

Les dialogues sont drôles, irrésistibles, le texte enchaîne les surprises. Le style est à la fois soutenu et familier, impertinent, joyeux. Sans filtre ni retenue, les personnages expriment leurs colères, leurs tendresses, exposent leurs failles. Ils disent tout haut ce que nous n’osons qu’à peine penser. Et c’est bien pour ça qu’on les aime : parce qu’ils nous ressemblent !

Elisabeth Dong

Balthazar et moi de Christian Vigne, Maurice Nadeau 2025

Photo © Adèle O’Longh