Sur la route
On avait tellement apprécié Attaquer la terre et le soleil (2022 – chroniqué dans ces pages), qui racontait la colonisation de l’Algérie dans une apothéose de violence et de douleur, avec un verbe puissant et un style déchaîné, qu’on s’est précipité sur Cantique du chaos dès qu’on en a entendu parler.
Ce roman ne revient pas sur le passé, il n’est pas historique bien au contraire : il parle du futur et Mathieu Belezi n’est pas plus riant sur ce sujet que sur le précédent. L’humanité a vécu un terrible cataclysme, un déluge d’eau mondial pendant plusieurs semaines, cela a emporté les gens, les maisons, les voitures, les routes, grignoté les côtes alors que le niveau des océans a monté d’un mètre.
Théo, le personnage principal, en est sorti vivant comme à peu près un dixième des habitants de la planète. Le roman débute avec son installation sur une île de la côte d’Azur, quasiment déserte, et sa volonté de terminer ses jours dans une vieille maison délabrée, loin de tout confort, loin des humains surtout.
L’écriture est posée, parfois lente, au rythme des journées peu remplies, du temps qui s’écoule tranquillement. Et puis Théo rencontre d’abord deux enfants, puis leur mère. Elle est seule et s’intéresse à lui, elle lui demande son aide pour aller sur le continent, elle a un petit bateau. Et là, le roman s’accélère, on comprend que la vie sur Terre est devenue infernale pour les survivants, le pouvoir en Europe est entre les mains de gouvernements autoritaires, militarisés à outrance, la France en particulier paraît ravagée par la guerre civile.
Théo devient l’homme de la famille, sa maîtrise des armes à feu est l’une de ses compétences, et quand Chloé lui demande de les accompagner aux États-Unis, où un nouveau départ paraît possible, il accepte ce dérivatif à sa mélancolie. Le roman devient alors proche du road-movie, avec un côté Bonnie and Clyde, des allusions à Kerouac et Ginsberg, une violence omniprésente. Ça défouraille vite et la tentative de s’installer comme fermiers connaît quelques complications.
On devine la jouissance de raconter comment les déshérités peuvent s’imposer avec quelques armes de poing, mais on sent aussi le pessimisme car le monde ne se relève pas. Le déluge n’a pas été suivi par une reconstruction, on voit partout les ruines, les nouveaux déserts, la pollution des eaux. Les débris de la vie d’avant le déluge rappellent l’abondance d’autrefois, la technologie débridée, l’insouciance des hommes bardés d’écrans. L’humanité caparaçonnée de régimes policiers, de dictatures, armée d’idéologies racistes, court vers sa perte, fuit en avant vers plus de fanatisme, de violence et d’égoïsme.
Cantique du chaos est un roman très beau quand il parle des paysages, très juste sur les relations entre les personnages, avec une fin toute pétrie de bienveillance à défaut d’espoir.
Un roman à lire pour nous aider à imaginer le futur, et surtout pour éviter celui-là.
François Muratet
Cantique du chaos de Mathieu Belezi, Robert Laffont, août 2025
Illustration : Cantique du Chaos © Adèle O’Longh 2025