À mi-chemin entre l’univers de Milos Forman et Afters hours de Scorcese (avec des renvois au Scorcese de À tombeau ouvert), le film de Mikhanovsky, cinéaste russe émigré aux États-Unis, se déroule sur une seule journée à Milwaukee (Wisconsin) et raconte la chevauchée à cent à l’heure d’un ambulancier qui doit conduire deux personnes handicapées à des rendez-vous et se trouve obligé d’embarquer dans son minibus son pittoresque grand-père russe, accompagné d’une dizaine de vieux russes tous plus extravagants les uns que les autres, qui se rendent à l’enterrement d’une tante. Cela donne un voyage frénétique et délicieusement fou. Ça parle tout le temps – comme dans l’insupportable Momie de l’insupportable Xavier Dolan, sauf qu’ici, chaque réplique est irrésistible, et le spectateur n’a pas envie de se lever pour aller casser la gueule à l’écran… On passe du russe à l’anglais, il y a des raccourcis, des demi-tours, des détours, des envolées, des atterrissages, des moments de grâce, de beauté, de bonheur, en particulier lorsque tout ce petit monde est contraint de faire halte dans un institut pour handicapés au moment de la kermesse annuelle. Tous les sujets traités le sont par ricochet, presque par hasard : la vieillesse, les perditions de la mémoire, la famille, l’american dream, la grande pauvreté, le racisme, la filiation, le coup de foudre amoureux, les violences raciales et policières. Vic, le jeune conducteur, interprété par Christ Galust (le futur Leonardo Di Caprio?) n’a pas une minute à lui. Pourtant il ne s’énerve jamais et réussit le tour de force de mener à bien son incroyable mission en nous entraînant avec lui dans un road-movie agité, époustouflant, bordélique et attachant, ou plutôt, devrais-je dire, un « town-movie », puisque tout le film se déroule dans la cité peu affriolante de Milwaukee, où le réalisateur Kirill Mikhanovsky fut, dans la vraie vie, ambulancier à son arrivée dans cette ville lorsqu’il débarqua de Russie dans les années 1980.
Jean-Jacques Reboux