« Mon pays est une simple hypothèse (…) j’ai romancé à l’excès toutes ses blessures (…) C’était le lieu de tous les possibles, un cauchemar fabuleux ».
Figure du Hirak• où elle faisait partie du groupe de femmes ayant créé le « Carré féministe » au sein des manifestations, Sarah Haidar, écrivaine et chroniqueuse au journal « Le soir d’Algérie », a grandi à Alger dans une famille attachée à son lieu d’origine : un village qui n’a pas bougé depuis les années 60, situé en Kabylie, région rebelle d’Algérie s’il en est, où l’auteure s’est rendue régulièrement depuis sa première enfance.
Bien que ses personnages portent des prénoms kabyles, La morsure du coquelicot se veut « un texte apatride que n’importe qui peut lire sans se sentir étranger ». Pour Sarah Haidar, ne pas nommer les lieux fait partie de son style romanesque. Ça peut être l’Algérie, la Kabylie… ou pas. On est partout et nulle part dans ce roman choral libertaire.
« J’ai l’impression que ça fait partie de la nature humaine d’être anarchiste. J’ai fait le tour de plusieurs idéologies, mais ensuite mon caractère, mon tempérament et ma recherche personnelle m’ont conduite naturellement vers l’anarchisme. » disait-elle en 2018 sur Radio France, lors de la sortie du livre.
Dans ce roman dystopique, face à un état criminel de type totalitaire, des femmes et des hommes passent à la lutte armée.
« Avril pue, et ce ne sont pas des narines frileuses qui vous le disent… Avril, l’on ne se contente pas de mourir, on se décompose au soleil, on persévère dans le martyre, on continue à soulever les cœurs, quand le sien est déjà tombé, »
Même si elle se refuse à situer son roman dans un lieu concret, l’auteure fait ici allusion aux différentes répressions exercées par le pouvoir lors du Printemps berbère, en avril 1980, et lors du Printemps noir de 2001 – qui a compté plus de 2000 morts, pour la plupart exécutés.
Depuis le début, dit-elle, j’ai pris le parti de ne pas raconter une histoire, avec une structure; je fais des expérimentations. Rendant hommage au passage à Matoub Lounes, Mouloud Mammeri, et Ferhat Mehenni, Sarah Haidar fait une belle démonstration d’indomptabilité. C’est une écriture libre que la sienne, qui part dans tous les sens, file à longueur de temps la métaphore sexuelle, tonne et se contorsionne, dans une violence aussi ambiguë que le titre du livre : Le coquelicot, pour la symbolique révolutionnaire, sa morsure, pour la capacité de violence et d’autodéfense cachée sous l’apparente soumission des peuples asservis.
« Les ennemis d’hier ont coalisé dans une espèce d’hybridation que la nature ne permettrait pas même à deux bêtes en danger d’extinction. Jeans et tenue afghane se frôlent désormais pour accompagner la vengeance de tous les Seigneurs » .
Ici le combat se mène aussi bien contre les militaires de l’État que contre les intégristes religieux, tant il est vrai que les totalitarismes, quoi qu’ils en disent, vont toujours main dans la main.
« Ce n’est pas la liberté, ni l’affranchissement, ni la rébellion. C’est un mot encore non-écrit qui broie et qui chante et qui étripe jusqu’à ce qu’orgasme s’ensuive (… ) Souvenez-vous ! Vous êtes nés libres, tâchez de le redevenir… »
Kits Hilaire
La morsure du coquelicot de Sarah Haidar, Métagraphes 2018,
•Le Hirak (Mouvement) s’est déroulé entre 2019 et 2021 en Algérie.