« Avant de périr, je me souviendrai que durant toute mon existence, j’ai couru après des rêves inoffensifs, placide comme une palourde qui ne réclame rien d’autre qu’un peu de vase où s’enfouir. »
Dans la lagune, les anguilles et les palourdes meurent. Tout l’écosystème est étouffé par les grandes chaleurs et l’eau douce déversée en masse par la centrale hydroélectrique qui le prive d’oxygène. La narratrice ressent physiquement son agonie : « Suffoquant, j’ai passé une main sur ma nuque en sueur, porté mes doigts à mes lèvres. Mes humeurs étaient salées, la mer se dilatait dans mon sang. Pleine de la grosse rivière, la lagune aussi réclamait sa part de sel. Sans ça, tout en elle allait crever. »
La Palourde est un roman d’amour, un roman d’amour général, adressé aussi bien aux humains qu’à la lagune et, à travers elle, tout le vivant. La narratrice vit dans un petit port de pêche « coupé du reste du monde par une falaise ocre » où « les êtres humains opèrent d’une manière identique à partout ailleurs : ils tentent d’exister coûte que coûte ».
Elle aime Jean, qui porte tout le marais dans ses yeux dorés et qui pourtant continue à travailler à la centrale hydroélectrique, lui en aime une autre. François, philosophe pêcheur d’anguilles, aime la narratrice mais n’est pas payé de retour. Marie aime Youssef, son compagnon membre du Cercle des pêcheurs qui l’aime aussi depuis longtemps, élève des canards qu’elle prend pour des chiens, tient son paon en laisse, tire les cartes à la narratrice et voudrait qu’elle cesse d’aimer Jean :
» Il ne faut pas aimer ceux qui ne peuvent pas nous aimer en retour, car c’est se faire du mal. Et se faire du mal, c’est en faire à tous les êtres qui nous entourent, c’est troubler et noircir les eaux de l’étang. »
Il y a aussi Stéphane, le chasseur, sauveur de poussins, Matthieu, l’ex de la narratrice, et Lucas, son fils, il y a la commerçante qui se baigne nue dans l’étang et culpabilise de se faire le relais de la réception de colis… Tout un monde en suspens, conscient de ses discordances, qui guette la fin.
« Et bientôt, nous serons soumis à la question, de quel bois mort sommes-nous fait ? Rejetés sur les rives de l’étang, flottés et délavés, nous lirons l’insolence dans l’œil de l’anguille qui agonise : « Vous voilà à payer vos arriérés de loyer sur la terre. » Mais aussi un semblant de compassion : « Pauvres cloches. »
Curieux roman, où la narratrice sait tout du long qu’elle se raconte des histoires, où l’auteure nous embarque dans un rêve éveillé où les choses se maintiennent à un fil de l’effondrement.
Kits Hilaire
La Palourde de Sigolène Vinson, Le Tripode 2023
La palourde de Sigolène Vinson – Photo © Gina Cubeles 2024 ©