Ce roman parle du pouvoir et de ce qui se passe quand il est vacant, il parle du Vercors que les troupes allemandes ont laissé en vrac, d’une jeune institutrice retrouvée morte dans un sous-bois, à moitié tondue, d’un commissaire de police un peu désabusé et d’une journaliste américaine qui fait des photos pour Life. Nous sommes au début du mois de septembre 1944. Cette vacance du pouvoir ne dure guère car les sociétés humaines ont horreur de ce vide-là, elles bricolent dans l’urgence et certains croient pouvoir en profiter.
Pour remplacer les anciens maîtres, il y a des gars armés de fusil, anciens résistants pour certains, ils sont commandés par des gradés sortis de l’ombre et plus ou moins affûtés lorsqu’il s’agit de faire régner la justice, ce qui est toujours plus compliqué que de canarder à tout va. Mais sans doute ai-je une vision stéréotypée de la fonction militaire.
Donc les Allemands sont partis, fuyant la tenaille des armées qui ont débarqué en Normandie et en Provence, les FFI ont pris le contrôle, ce qui consiste entre autres à faire des barrages sur les routes et à vérifier ceux qui y circulent, et le commissaire Duroy arrive au volant de sa Peugeot 402, mandaté par le délégué général à l’épuration, représentant d’un autre pouvoir qui s’installe pour durer.
Qui a tué la fille, l’a tondue, l’a violée ? Est-ce un de ces Italiens, des charbonniers qui vivent dans les bois ? Est-ce un des villageois ? Un FFI ? Un gendarme ? Et puis qui va enquêter ? La gendarmerie qui a l’air d’être dépassée ? Les FFI qui semblent avoir des idées expéditives ? Le commissaire Duroy qui n’a aucune autorité ? La journaliste américaine qui est dans la région depuis quatre mois ?
Tout le monde, en fait. Le roman raconte cette concurrence des compétences, des attributions, des bonnes (et mauvaises) volontés, avec pas beaucoup de respect pour les héros FFI ou les gendarmes et un peu plus pour le commissaire, l’Américaine, les Italiens. Tout comme Duroy, on veut savoir, on croit comprendre, mais peut-être que c’est plus compliqué, alors on les suit dans la montagne, dans les villages bombardés, parmi les gens énervés et les vaches qui bloquent les routes.
Le lieutenant-colonel Choranche, chef FFI, membre de l’Armée secrète et royaliste affirmé (combinaison assez rare à l’époque vu le ralliement de Maurras à Pétain), est un beau personnage au cœur de l’action, dépassé par les enjeux mais soucieux de ses responsabilités. L’officier tente de mettre un peu d’ordre dans ce chaos, mais il est sur le départ pour continuer la guerre, pour poursuivre les troupes allemandes jusqu’à Berlin. Alors c’est Duroy et l’Américaine qui s’y collent et on se surprend à tourner les pages avec avidité, pour savoir qui a tué et s’ils vont réussir à le choper.
« [Duroy] souffle la fumée en hauteur. Il s’adresse à Choranche :
— Avec tout mon respect, lieutenant-colonel, si vos hommes lynchent quelqu’un sans enquête préalable, je les fais inculper pour meurtre avec préméditation. Dans le jargon policier, c’est un assassinat.
Choranche saisit les rênes de sa jument par-dessus son épaule. Il rétorque, contre toute attente :
— Vous me plaisez bien, commissaire. Avec Isabel, nous allons régler la question plus vite que vous ne le pensez.
Selon toute vraisemblance, Isabel est la jument. Choranche désigne le FFI du doigt :
— Évacuez le périmètre, maintenant. Et restez en dehors de ça, sinon, vous aurez affaire à moi. »
C’est un roman réussi avec une belle reconstitution de l’ambiance de l’époque, avec ce soupçon de décalage et de malice qu’on avait apprécié déjà dans Tuer Jupiter et qui fait le style de François Médéline, une écriture moderne pour une histoire qui emprunte parfois les chemins du whodunit.
La Sacrifiée du Vercors est un roman à lire, bien entendu.
François Muratet
La Sacrifiée du Vercors, François Médéline, Éditions 10-18, 2021.
Photo © Adèle O’Longh