Sassolino est un artiste né en 1967, qui travaille essentiellement avec des dispositifs mécaniques, des machines qu’il crée ou adapte pour qu’elles exercent des contraintes sur toutes sortes de matériaux, de préférence très résistants, tels que du marbre, des feuilles de métal assemblées, du bois, différents types de sols… Les sons émis par ces matériaux peu enclins à céder ont une place de choix dans un monde qui oppose le froid et le chaud, le dur et le tendre, le durable et l’éphémère.
Au 104 à Paris Arcangelo Sassolino présente une œuvre à l’exposition Jusqu’ici tout va bien ? L’œuvre s’intitule Canto V : https://www.galleriacontinua.com/exhibitions/canto-v-87
Constituée d’un gros madrier de bois découpé en 4 « planches » qui se trouvent donc superposées, sa longueur doit avoisiner les 3 mètres, cette poutre est suspendue à 1,5 mètres au-dessus du sol, par une machine. Le dispositif tord lentement mais continuellement la poutre vers le haut puis vers le bas, la contraignant fortement, ce qui arrache au bois des craquements et de puissants grincements. La contrainte nous interroge sur la capacité du bois à recevoir cette déformation sans céder et les son émis par le bois évoquent le monde du vivant. Cette démonstration de limites du monde organique face à des machines minérales et froides qui répètent mécaniquement une contrainte nous évoque une autre œuvre : Plight de Joseph Beuys : https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cLjdb4/rgXd7e6
Cette seconde œuvre qui date de 1985 peut être interprétée de différentes façons, le contexte de sa création donne des éléments mais le sens et l’universalité de l’œuvre dépassent les quelques anecdotes qui ont accompagné sa réalisation. Ainsi un piano à queue fermé à clé est placé dans une double salle capitonnée de rouleaux de feutre de 1,5 mètres de haut. Le feutre est organique, animal et isolant phonétique. Sur le piano une planche noire avec des mesures de partition vierges et un thermomètre sont posés. Les thèmes de la contrainte, du silence opposé au bruit, du silence imposé, d’une nature muselée (animale et végétale) ou d’une injustice que les humains se font entre eux se retrouvent dans ces deux œuvres. Le parcours dans les pièces tapissées de feutre peut aussi évoquer un parcours sous la peau. Dans Canto V, le bois, vieilli, a quelque chose de l’écorché, du muscle mis à nu. Il y a dans les deux œuvres une interrogation sur le nerveux, le vivant, la souffrance. Du grincement au gémissement, il n’y a pas loin. Le thermomètre surveille la température d’un être, la mécanique rappelle sans cesse une souplesse issue du vivant, de l’intérieur même du vivant.
Volontairement ou non, ces deux œuvres dialoguent. Celle de Beuys est plus conceptuelle au sens où elle est littéralement moins parlante, complexe à aborder pour qui n’a pas les clés, tandis que celle de Sassolino interroge de façon plus frontale notre sphère émotive. Ce bois, est-ce un homme ? Est-ce la nature dans son ensemble ? Est-ce la plante elle-même, cet arbre, dont nous n’avons jamais entendu la capacité de communication ? Cette machine qui ne peut être fabriquée que par des hommes, qu’impose-t-elle et à qui ? Le rapport de force est présent dans les deux œuvres et il est clair qu’il est inégal. Quoi qu’il en soit, Canto V est une œuvre assez simple (on tord du bois), qui met en jeu un dispositif complexe (une machine électrique à pistons pour une poutre qui doit peser une tonne). Ici et là le spontané s’oppose au stratégique qui impose une domination. Cette œuvre touche par l’empathie qu’elle éveille, parle de fragilité, de vulnérabilité et questionne sur les contraintes et les motivations des puissances qui les exercent. Canto V pourrait être un titre ironique pour une œuvre au final très politique.
Alegría Tennessie
Les deux œuvres sont visibles ici :
https://www.galleriacontinua.com/exhibitions/canto-v-8
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-oeuvre-espace/popup13.htm
Jusqu’ici tout va bien? Exposition jusqu’au 9 février 2020 au Centquatre, 5 rue Curial, Paris