Ce livre qui se lit d’une traite, qui est passionnant de bout en bout, avec une intrigue à la fois minimaliste et très forte, n’est pas un roman. Pourtant, il raconte une histoire, celle du loup de Valberg, un louveteau au début de ce récit. L’animal est raconté de manière parfois subjective, on sait ce qu’il ressent, ce qu’il voit, ce qu’il sent, parfois de manière extérieure, grâce à la description des photos ou des vidéos prises de manière automatique, à travers les témoignages de personnes impliquées dans l’existence de ce loup, spécialistes ou non, qui l’ont vu ou pas.
On le suit depuis son apparition dans les rues de Valberg, un village des Alpes-Maritimes, pas loin du Mercantour, jusqu’à sa disparition dans la Drôme. On vit toutes ses aventures, reconstituées avec talent par Pauline Briand. Elle nous entraîne dans cette histoire avec une très belle écriture, terriblement évocatrice. Le style est efficace, élégant, très précis, les descriptions des scènes de chasse sont étonnamment réalistes. On mange le foie des agneaux avec le loup, on a peur des hommes avec lui, on court très vite, on galope, poursuivi par des chiens qui aboient et rêvent de vous étriper, tout efflanqué qu’on soit.
Le récit est très documenté, il s’appuie sur des faits, des reconstitutions, des cartes, sur une enquête minutieuse, et pourtant se glisse dans l’invention, la création littéraire, la tension narrative dans ce texte qui est une sorte de documentaire au format papier, où l’on apprend beaucoup de choses sur les loups, l’élevage alpin, les enjeux politiques qui déterminent ces sujets. Sans que le texte soit ouvertement pro-loup, le seul fait d’en parler de manière quasi intime nous oblige à adhérer, même si on compatit aussi avec les éleveurs, si on comprend leur stress, sans parler des bêtes, ovines ou caprines, parfois bovines, qui vivent dans les alpages avec la peur du loup.
À mesure qu’on avance dans la lecture, on prend conscience de la dimension épique de cette histoire du loup en France. Pour décider de la survie ou de l’euthanasie du loup de Valberg, d’un seul loup donc, deux ministres se sont mis d’accord, après la consultation d’une palanquée de fonctionnaires et d’experts. Ensuite, pour la réintroduction de ce loup, c’est dans le plus grand secret que les décisions sont prises. Quand les chasseurs, les éleveurs, et même les associations environnementalistes l’apprennent, c’est une levée de boucliers incroyable, tout ça pour un loup parmi les mille et quelques qui peuplent notre pays à l’époque où commence l’écriture de ce livre, soit en 2023. C’est dire la charge émotionnelle qui accompagne la question du loup en France, une charge qui est aussi symbolique, politique, écologique, qui semble moins pesante à l’étranger.
Je dis mille, et c’est un sacré chiffre quand on sait que les premiers loups sont aperçus en 1992, mais les différents gouvernements français autorisent les « prélèvements », c’est-à-dire l’abattage de loups, avec des taux qui sont portés à 19 % depuis 2019 sous la pression des syndicats agricoles et des associations d’éleveurs, ce qui fait environ 190 loups par an, ce qui est énorme. En 2024, le nombre de loups a diminué de 9 % en France. Les naturalistes et vétérinaires qui suivent les loups s’étonnent de ne trouver morts que des loups jeunes, il est rare d’en voir des vieux. Cela pose le problème de la coexistence avec l’homme. Si les loups ne vivent pas vieux, sans doute ne tirent-ils pas les leçons de cet abattage. Ils continuent à essayer d’attraper des agneaux ou des brebis, aveuglés par l’apparente facilité, en dépit des chiens, des clôtures, et surtout des louvetiers qui les tirent comme des lapins.
Le Loup de Valberg est un livre très dépaysant, qui nous emmène du côté de la sauvagerie, nous aide à la comprendre, et à réfléchir sur notre monde tout simplement. C’est un livre à lire, bien entendu.
François Muratet
Le Loup de Valberg, Pauline Briand, Éditions Goutte d’Or, nov. 2024