Refroidissement climatique
Le dernier roman de Caryl Ferey commence par une tempête d’hiver dans le grand nord sibérien et se termine au printemps, lorsque les températures commencent à passer au-dessus de zéro la journée. Contrairement à ses précédents romans, le froid domine tout le récit, avec des températures très négatives qui sont rappelées régulièrement, tandis que le danger qu’elles représentent contamine l’ambiance de ce polar arctique, rythmé par une enquête qui part de rien, vraiment pas grand chose : un Nenets, c’est-à-dire un Sibérien autochtone, retrouvé congelé dans les décombres d’un toit qui vient de s’écrouler, alors qu’il devrait être en transhumance avec ses rennes bien loin dans le sud.
Tout le monde se fout de ce gars, mais la police locale a tout de même besoin de connaître son identité, histoire de clore cet événement bizarre et de passer à autre chose.
L’enquêteur Boris Ivanov est chargé de cette tâche ingrate, qu’il n’est même pas obligé de mener à bien, mais il va s’y attacher et à force de chercher, il trouve des choses étonnantes qui rendent l’affaire de plus en plus tendue. Il n’est pas le seul à mener l’enquête car les Nenets ont quelques soutiens dans la population de Norilsk, ville minière qui exploite les mines de Nickel, autrefois fondée par l’administration du Goulag pour y faire travailler des prisonniers.
Caryl Ferey est allé à Norilsk et ça se sent, les descriptions sont magnifiques, les personnages sont très incarnés et la dureté de l’hiver sibérien nous donne envie de lire avec des gants. L’histoire racontée dans Lëd (qui signifie glace en russe) a même une petite touche de fantastique avec l’apparition d’un loup énigmatique, sorte de divinité archaïque qui rôde autour de la ville pollueuse et de ses hommes devenus dingues à force de fouiller le sol et de boire de la vodka bon marché.
C’est un polar généreux, riche de cette immersion dans une réalité documentée bien loin de nous, pas très optimiste mais avec tout de même quelques rayons de soleil grâce aux personnages qui vont jusqu’au bout de leurs idéaux, qui transforment la froide réalité de la corruption et l’inertie la plus coupable en moments de justice expéditive et réjouissante.
Lëd est un roman captivant, dur, très exotique malgré le manque de palmiers, avec des personnages qu’on quitte à regret, en espérant que les choses vont s’arranger pour eux.
François Muratet
Lëd, de Caryl Ferey, Pocket 2022, les Arènes 2021
Illustration © Gina Cubeles 2023