Dans ce roman tragi-comique, James McBride nous conte l’épopée loufoque de quatre soldats noirs américains en Italie durant la Seconde guerre mondiale. On les accompagne dans les batailles absurdes où ils font les frais des décisions catastrophiques d’officiers blancs incompétents dont on n’a pas voulu ailleurs. Aux prises avec une série d’événements qui s’enchaînent d’une manière incompréhensible, ils se rendent vite compte que leur vie ne compte pas plus sur le terrain de bataille que dans l’Amérique ségrégationniste.
On apprend ainsi que l’armée américaine était surtout composée de Noirs, en Italie, parce que le pays étant pauvre, il ne représentait aucun enjeu géopolitique. Les soldats blancs, eux, allaient en France où les Noirs ne combattaient pas, se cantonnant à l’intendance. Ce qui n’est pas sans nous rappeler l’injonction faite par l’état-major américain aux Forces Françaises Libres de « blanchir » leurs effectifs pour le débarquement de 1944.
Membres méprisés de cette armée américaine où tous les officiers supérieurs étaient blancs, les Afro-Américains voyaient les Allemands souvent mieux traités qu’eux – qui devaient attendre en plein soleil au garde-à-vous que les prisonniers aient fini de manger dans le réfectoire, avant d’aller chercher aux portes des cuisines leurs propres rations servies dans des assiettes en carton.
À travers l’histoire d’un géant du sud, Train, qui sauve un petit garçon italien, l’adopte et le protège farouchement, celle de Bishop, un prédicateur cynique, joueur impénitent et séducteur à tout crin, du beau Stamps, sérieux et idéaliste, et d’Hector, un Portoricain du Harlem espagnol qui rêve de son île au milieu des bombes, l’auteur nous déroule ce pan de l’histoire, non seulement peu relaté mais directement occulté par l’histoire officielle des États-Unis. Il nous conte aussi comment ces soldats, qui ont vu les Italiens méprisés autant par les Américains blancs que par les Allemands, et ont souvent donné leurs rations en cachette à des civils affamés qui portaient sur eux un regard dénué de racisme, vont découvrir un autre type de relations avec des Blancs – les habitants du village où ils atterrissent par hasard, avec lesquels ils vont passer rapidement de la méfiance à l’intimité partagée.
Spike Lee a tiré du livre un film peu réussi, dans lequel ne reste plus de trace d’humour, de magie, ni de grâce, et auquel il sera reproché, à juste titre, de prendre des libertés avec l’histoire des partisans italiens. James McBride, devenu scénariste du film, présentera ses excuses à ce propos lors d’une conférence de presse à la sortie du film en Italie.
Comme cela arrive fréquemment, un bon roman, inventif et réjouissant, aux personnages attachants et aux dialogues bien enlevés, ne se laisse pas facilement adapter.
« C’était devenu une plaisanterie quotidienne : les soldats nègres en rang, dos au grillage, et les centaines d’Italiens derrière en train de bâfrer le rata. Et les Italiens savaient se montrer reconnaissants. Ils les aimaient, ces soldats. Ils embrassaient leurs visages. Ils leur touchaient les mains. Ils déposaient des fleurs sur les corps des soldats tués. »
Kits Hilaire
Miracle à Santa Anna de James McBride, Gallmeister 2015