© Adèle O’Longh

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures
de Natasha Kanapé Fontaine

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures (proverbe tsigane), de Natasha Kanapé Fontaine, exprime l’impossibilité d’aimer pleinement quand on est soi-même amputé d’une partie de son âme. Comme toujours dans ses recueils de poésie, il déroule une succession de poèmes qui forment un seul chant, et ce chant s’enroule et se défait toujours autour de la même histoire, en une progression fluide de rivière, comportant des bras morts, des diffluences et des affluences :

« UN LIT d’automne, j’ai lié nos deux corps
nos peuples en désaccord

entravés
dans le même plaisir. »

S’ensuit la nécessité de retourner à ses racines, à la grand-mère, à la terre :

« LA CIGARETTE persistait entre ton index et ton majeur
comme tant d’autres auparavant
tes poumons s’évaporent
quand tu brodais tes mocassins c’étaient
des souvenirs sur ma peau,
où sont mes cartes postales ? je les ai éparpillées

j’aimerais parfois que tu reviennes et me révèles
ces récits qui ne se racontent pas

histoires oubliées, ou simplement mises de côté –
ce qu’on ne dit pas

les enfants ne sont pas encore nés mais je leur dirai
tu as vécu

ils sauront que l’on a existé avant eux
et que d’autres existeront après

tout est un cercle. »

Il faut que cette difficile réappropriation se fasse :

« LE FEUTRE mocassin porte
un cheveu de lumière
dernier copeau
kukum et sa petite-fille
prisme de couleurs fibrilles

le cuir du soulier artisan s’amasse
dans un sac noir de secrets de famille

ruines

je cherche quelques mots
d’innu-aimum
sous ma langue

je suis de la ville. »

Pour que l’amour, non moins difficile et profond, puisse s’accomplir :

« TES DENTS lacèrent mes vertèbres
tes yeux s’embrouillent de cèdre
notre lit de feuilles mortes se labourent nos chasses
épurées de ton cidre
je voudrais déjà m’enfuir
tes murs m’entourent
c’est d’air pur dont je devrais vivre

mes veines gonflées d’effluves
ton désir invitant mon esprit à s’éteindre
à fermer les yeux
et tu m’exhortes à t’étreindre

je brûlais de tes tendresses vives mes cendres. »

.. Et qu’enfin s’inversent les exils, en un beau basculement :

« JE REVIENDRAI alors là je serai en exil là-bas
même avec les branches de sapin et les rues chiennes
même avec les rires mille ans et les alcooliques toujours
même avec les ciels piqués de dents en bois d’ébène
même avec les amies qu’on reconnaît une saison juste
et repartent celle d’après

et le royaume avec le songe que font les Esprits le soir. »

Lonnie

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures de Natasha Kanapé Fontaine, éditions Mémoire d’encrier, 2012.