La poète argentine Alejandra Pizarnik écrivait : « J’ai hérité de mes ancêtres l’envie de fuir ». Elle l’a finalement fait le jour où elle a réussi son suicide en 1972, à l’âge de trente-six ans.
Les éditions Ypfilon font paraître Œuvre II, qui rassemble des inédits, textes et recueils qu’elle avait gardés dans des dossiers en vue de publication, à l’exception de La terre la plus étrangère, qui clôt le volume. L’auteure considérait ce premier livre, écrit à l’âge de dix-neuf ans, comme extérieur et non intérieur à son oeuvre, refusant sa réédition. On voit aujourd’hui qu’il préfigurait, si ce n’est sur la forme du moins sur le fond, toute son oeuvre à venir :
« ma vie ?
un vide bien pensé
mon corps
une entaille sur la chaise
mon va-et-vient ?
un gong enfantin »
Œuvre II s’ouvre sur Textes d’Ombre, son dernier titre, sur lequel elle a travaillé les deux dernières années de sa vie. Ombre est le dernier personnage d’Alejandra Pizarnik, son double :
« elle parlera par obscurité
par ombres
par nul »
Suivent Cahier jaune, recueil de proses de 1961 à 1971 ; Les perturbés dans les lilas, pièce de théâtre écrite en six jours datant de 1969 et Approximations, série de poèmes écrits entre 1956 et 1972.
« Des pas et des voix du côté du jardin. Des rires à l’intérieur des murs. Ne va pas croire qu’ils sont vivants. Ne va pas croire qu’ils ne sont pas vivants. À tout moment la fissure dans le mur et la subite débandade des fillettes que je fus. »
Alejandra Pizarnik nous laisse une œuvre poétique qui prend à la gorge, littéralement, de passion et de contradictions, d’abandon, de suffocation, de tendresse et de déchirures, d’aspiration à l’Autre, au monde ; au coeur du corps-écriture, au plus près de la folie des mots :
« Plaise à Dieu que je puisse vivre en extase seulement, faisant de mon corps le corps du poème, rachetant chaque phrase de mes jours et de mes semaines, pénétrant le poème de mon souffle à mesure que chaque lettre de chaque mot aura été immolée dans les cérémonies du vécu. »
Les éditions Ypfilon avaient déjà rassemblé dans Œuvres tous les titres publiés du vivant de l’auteure dont Extraction de la pierre de folie, traduit par Jacques Ancet, ce très beau recueil datant de 1968 :
« Je parle comme ça parle en moi. Pas ma voix qui s’efforce de ressembler à une voix humaine mais l’autre qui témoigne que je n’ai cessé d’habiter dans les bois. »
Kits Hilaire
Œuvres II d’Alejandra Pizarnik, traduction d’Etienne Dobenesque, Ypfilon 2024
Illustration : Alejandra Pizarnik © Adèle O’Longh