Arrêtée en juillet 2016, Zehra Doğan, journaliste et artiste kurde du Rojava est emprisonnée, notamment à Diyarbakir (Amed en kurde) pour avoir posté sur Twitter un dessin de la ville kurde de Nusaybin bombardée par la Turquie.
Zehra Doğan a reçu plusieurs prix pour son travail de journaliste, Banksy lui a dédié une fresque qui a contribué à la faire connaître dans le monde entier. Elle réalise plusieurs expositions en Europe. Le 31 octobre 2019 un recueil de lettres qu’elle a écrites en prison sera publié.
Dans ces courriers, c’est tout un monde qui se dessine avec sa géographie, son histoire et surtout ses femmes. Car Zehra Doğan s’inscrit dans une lignée de femmes kurdes combattantes qui ont pris les armes pour se défendre elles-mêmes, notamment quand les hommes, contrairement à leurs épouses, ont interdit que l’on parle le kurde dans leur propres maisons. Les armes de Zehra Doğan ce sont des crayons et des couleurs, des pinceaux qu’elle fabrique avec ses cheveux s’il le faut. Durant son enfermement, elle ne cesse d’écrire et de peindre produisant ses propres couleurs avec des déchets. Ses mixtures colorante sont nauséabondes et posent des problèmes à l’administration pénitentiaire qui lui refuse tout matériel artistique. Dans l’univers de Zehra Doğan la nature a une place primordiale, elle est toujours reconnue et appréciée, qu’elle se manifeste par le corps, par les aliments, par la présence d’animaux, par la lumière de la lune, par la pluie ou la rare vision de quelques branches d’arbre.
Ce journal épistolaire nous permet d’entrer dans la prison, de partager des bribes d’une vie de dortoir dans lequel évoluent des femmes de 2 à 80 ans, emprisonnées parce que « terroristes » et surtout kurdes. Certaines d’entre elles sont enfermées depuis de longues années et pour des peines très lourdes qui peuvent aller jusqu’à la perpétuité.
Sans doute que le plus fascinant dans le travail de Zerha Dogan c’est sa posture artistique, sa capacité à faire de sa vie elle-même, une œuvre d’art. Elle met à profit chaque instant de l’existence que l’on tente de lui confisquer. Elle fait feu de tout bois, récupère le sang menstruel de ses codétenues, partage son plaisir du dessin, implique de gré ou de force chaque individu dans sa démarche. Et comme tout artiste, il semble qu’elle ne puisse faire autrement et que le prix de sa condition de créatrice lui coûte de douloureuses incompréhensions y compris parmi les prisonnières. Son travail produit un souffle, une oxygénation vitale qui se répand au sein de la cellule étouffante, qui repousse les murs.
Sa détermination à sublimer l’horreur pour imaginer un petit coin de paradis, d’humanité et de douceur renverse l’absurdité de ce qui est vécu sous la contrainte. Ainsi gardiens comme prisonniers sont concernés par ce qu’elle crée. Zehra Doğan fait surgir l’humanité de partout. Là où l’on muselle les voix, elle multiplie les moyens d’échanges et de communication. Elle fabrique son matériel, invente des lieux de travail improbables sous un lit ou sous un escalier, réalise des performances esthétiques au sein de la prison, fait sécher ses dessins au-dessus des armoires.
Que Zehra Doğan accepte et assume d’être l’emblème de la lutte des Kurdes pour leur survie est un bienfait pour chacun de nous, que l’on soit kurde ou pas, car nous avons tous besoin d’une place pour vivre selon nos cultures, et pour penser librement.
Alegría Tennessie
Nous aurons aussi de beaux jours de Zehra Doğan, Éditions des Femmes 2019
Exposition Œuvres évadées de Zehra Doğan du 6 au 23 novembre 2019 à la Galerie des femmes 35 rue Jacob Paris 6e
Dessin: Biz (Nous) – 77x102cm. Sur doublure de matelas, café, cendre de cigarettes, jus de grenade, curcuma, stylo à bille, la peinture introduite clandestinement dans la prison. 30 septembre 2018, prison de Diyarbakir.
Photo © Jef Rabillon