Dans ce roman, l’autrice met en scène des personnages hors-norme. Leur singularité, tant dans les traits que dans les comportements, les rend irrésistibles et nous captivent dès les premières pages :
Laia May, enquêtrice privée, fraîchement débarquée d’un monastère zen à Taiwan. Selon l’un de ses ex-collègues, lorsqu’elle était membre de la police judiciaire de Barcelone, c’était un « petit bout de femme aux yeux verts en amande, sa queue de cheval attachée haut sur la tête, mince, toute en fibre ». « Taiseuse » et adepte de l’écoute compassionnelle, elle est également professeure de kung-fu, en charge d’un centre zen.
Maria Lourdes, directrice de la prison pour femmes de Barcelone. Elle n’a pas la vocation. Son parcours professionnel, émaillé de stages de développement personnel qui ne réussissent pas à la réconcilier avec son travail, est clairement atypique. « Le périple d’auto-connaissance de Maria Lourdes avait abouti au centre zen de la rue Muntaner (…) où elle avait rencontré celle qu’elle considérait comme son maître, la femme qui avait changé sa vie : Laia May ».
Flor, assistante de Laia, infiltrée dans la prison pour femmes. Elle a, aux dires de Maria Lourdes, « le chic pour se mettre dans de vilains draps ». Sa tenue de camouflage, pas si éloignée en réalité de sa dégaine habituelle, est un look « punk à chien », façon « queues de rats roses », dixit ses camarades de mitard.
Rose, « un nuage de tendresse », compagne de Laia. Elle crée de nouvelles variétés de fleurs et boit du thé dans de la porcelaine anglaise.
Mani, vieille femme qui tient autant de la chamane que de la sorcière. Elle aide à « briser les mauvais cercles » et « dissoudre les ombres ». Dans sa petite maison, se trouve, « derrière un rideau de bouts d’os enfilés comme des perles, la représentation d’une déesse dorée, aux dents en forme de crocs et aux yeux exorbités, en train de danser sur un lac de feu. »
Vargas, enquêteur au sein de la police de Barcelone. Profil dans la normalité. Encore que toujours pas végétarien, il est entièrement dévoué à Laia, sa prof de kung-fu et ex-binôme …
La force du livre est de placer ces portraits, joyeux pour la plupart, au sein d’une énigme qui nous entraîne dans l’univers inquiétant de la maltraitance et de la criminalité sexuelle. Si la prison pour femmes de Barcelone, par exemple, est prétexte à la mise en scène d’une pléiade de caractères bien trempés et de dialogues colorés, le récit est avant tout une réflexion sur les démons qui hantent les vies violentées. Les moments où la rage et la douleur débordent et font voler la conscience en éclats, où le raz de marée de la folie ne laisse place qu’à une obsession : la vengeance.
Heureusement, Laia veille. Elle enquête dans la bienveillance et dénoue avec tendresse et humour les égarements des uns et des autres, se rappelant les mots du poète japonais Issa : « N’oubliez pas, nous marchons en ce monde, sur le toit de l’enfer, en regardant les fleurs ».
On attend déjà les prochaines enquêtes de Laia May !
Elisabeth Dong
SAJ, Une enquête de Laia May, de Adèle O’Longh, Après la Lune 2025.
SAJ Photo Gina Cubeles 2025