Maud Louvrier Clerc
une pratique protéiforme passionnée

Dessiner des sacs en plastique, les peindre, représenter des poissons avec des jus à l’aquarelle sur du crayon. Le monde sauvage en danger, l’être humain menacé par les milliards de tonnes de déchets plastiques qui flottent à la surface des océans. L’artiste s’émeut comme nombre d’entre nous. Mais que faire ? Ne plus les disperser, réapprendre à vivre en utilisant moins de plastiques, moins de sacs jetables. Maud Louvrier Clerc a choisi de les représenter dans toute leur complexité. Ainsi ses sacs ressemblent à des méduses déployées dans l’eau, les tentacules vers le haut. Elle les peint ouverts, respirant, dans des tons bleus et gris, bien arrangés ou désordonnés.

Plus que tout, ils sont légers, flottant sur la page blanche, extra-terrestres, mélancoliques. Ce sont 16 aquarelles d’une naturelle simplicité qui réunissent étroitement la mer et son poison. Les effets liquides des pigments produisent des paysages. Et au sein de ces sacs aux formes tangibles, apparaissent des îles et des atolls. Dans les méandres des eaux glacées, la transparence évoque quelque chose d’éphémère, un faux semblant et progressivement l’évidence émerge : du plastique ou du vivant, il semble que le plus durable ne soit pas celui que l’on avait cru.

Photo © Maud Louvrier Clerc

Maud Louvrier Clerc se dit connectée à l’univers, inspirée par la nature, mêlée aux cultures qui peuplent l’espace et le temps. Il n’y a pas de limites à sa pratique, elle s’empare de tous les possibles, joue de la musique, danse, dessine, peint, réalise des installations, sérigraphie, fait du design…
Aujourd’hui ce sont principalement les arts visuels qui constituent son travail. Quoi qu’il en soit, l’étendue de sa curiosité nourrit une pratique protéiforme passionnée qui s’inscrit dans la durée. Nous pourrons bientôt découvrir son Incroyable Alphabet réalisé pour la Manufacture de Mulliez-Flory à Sèvremoine, une installation géante qui rend hommage aux personnes qui la nourrissent de leur travail et qui pose la question de la consommation gargantuesque du textile dans nos sociétés. Un fil tiré pour détricoter les effets délétères de la mondialisation et engager à davantage de responsabilité, à privilégier la qualité et à réhabiliter le temps long.

Cela nous rappelle les esclavages qu’impliquent la fabrication mais aussi, il faut bien se rendre à cette évidence, la surconsommation. Car si certains d’un côté de la terre sont privés de tout, les autres, dix mille kilomètres plus loin, se gavent sans discernement. L’ensemble forme un cycle infernal, un tourbillon de malheurs que nous pourrions probablement stopper si nous réalisions la monstruosité de notre avidité et comment certains, non moins diaboliques, l’exploitent dans un but lucratif individuel.

Ce travail de la plasticienne rappelle, pour sa plongée dans l’histoire sociale des petites mains, le formidable livre de Laurence Biberfeld La meute des honnêtes gens (qui a fait l’objet d’une autre chronique dans Double Marge), dont l’action se déroule au XIXème siècle, dans une manufacture de soie, bien avant que l’on commence à délocaliser.

Je m’habille tu t’habilles il s’habille, nous nous habillions, vous vous habilliez, ils s’habillaient… A quels prix ?

Alegría Tennessie

Son site : http://maudlouvrierclerc.com/actual.html
Installation permanente prévue en fin d’année chez Mulliez Flory, Route de Saint-Aubin Le Longeron, 49710 Sèvremoine, France, https://www.mulliez-flory.fr/