Pas de sauveur suprême
Dans les romans de DOA, on ne rigole pas beaucoup, je dis ça pour les fans de polar comique, on ne rigole pas des masses mais question écriture, ça envoie. Le travail sur la langue est impressionnant, on est bombardés de sigles policiers, administratifs, procéduriers, d’argot de banlieue, d’argot de flic, mais ça, c’est rien. La distorsion de la langue est aussi dans la narration, tout est complexe, implicite, inachevé, raconté à l’envers, on est confronté à beaucoup de non-dits, beaucoup de non-expliqué, la narration est pleine de trous qu’on a parfois du mal à combler.
Les personnages aussi sont tordus, violents et calmes, déracinés et terrés, amoureux et haineux, ambitieux et petits-bras, héroïques et pitoyables. Ils se débattent dans leur histoire, dans celles des autres, les grosses brutes pleurent et les morts n’ont pas de repos. Il n’y a rien qui va, tout est chaotique et magnifique, tout est préparé et tout foire, et les plus mal barrés sont peut-être ceux qui s’en sortent le mieux.
L’histoire, très documentée, est celle d’un clan mafieux de la banlieue Est de Paris, un clan manouche puissant qui réalise aujourd’hui l’essentiel de son chiffre d’affaires dans le trafic de drogue, mais qui possède aussi des terrains, des salles de jeux, des immeubles, des entreprises de location de voiture, une accumulation du capital sur plusieurs générations. Face à lui, et c’est tout aussi documenté, des flics et des gendarmes chargés de les coincer, d’intercepter leur trafic. Ils sont rattachés à l’OFAST, l’Office anti-stupéfiant, une nouvelle structure prometteuse, élitiste, à compétence nationale, et ils aimeraient bien que les nains de la brigade des stups parisienne ne traînent pas dans leurs pattes.
Les rapports entre ces organismes de lutte contre le crime organisé sont très tendus, s’en mêlent aussi les services de renseignements, la pénitentiaire, des flics d’autres pays, tout le monde est prêt à mordre pour défendre son territoire et marquer des points.
La corruption est omniprésente, flics ripoux et voyous achetés font circuler les informations, trahissent à tout va, empochent les biftons, risquent leur vie, et s’il peut y avoir parfois de l’amitié, ou une forme de respect, entre les deux mondes, cela s’avère assez vite factice.
La guerre contre la drogue apparaît totalement vaine dans ce roman, les flics n’en attendent rien en termes de santé publique, car tant qu’il y aura des acheteurs, il y aura du produit, ils en sont persuadés. Alors pourquoi prendre tous ces risques, foutre en l’air sa vie privée, arriver usé.e à cinquante ans ? L’adrénaline, c’est ce qui les motive et les fait tenir, c’est leur drogue, celle qui fait que tout le reste a goût de rien. Et tout ça pour atteindre la victoire, la gloire, l’entubage ultime, c’est-à-dire faire la saisie la plus balèze de toute l’histoire de la police française, ou faire entrer la quantité la plus énorme de drogue au nez de la flicaille la plus affûtée. L’adrénaline contamine Amélie, la gendarme de l’OFAST, figure la plus positive du roman, la plus capable, la plus sensible, et aussi de l’autre côté, l’adrénaline corrompt Lola, la plus intellectuelle du clan manouche, celle qui pourrait s’en sortir si elle continuait ses études, si elle n’était pas fascinée par les armes. L’adrénaline a cramé le cerveau de Théo, flic très expérimenté qui n’a pas supporté la mort de ses proches, elle fait rigoler Momo, l’héritier du clan, qui attend en prison que ça se calme dehors, mais c’est pas sûr qu’il se marre encore longtemps. Tous vont au-devant du danger, armés comme des porte-avions, le seul qui a peur, dans ce roman de DOA, c’est le lecteur.
Il n’y a pas de morale chez DOA, pas de Dieu, ni César, ni tribun, on est dans du roman très noir, pas dans du feel-good book, on évite de s’attacher aux personnages car on voit bien que ça va mal finir, mais on se laisse prendre malgré tout, on a ses préférés et on aimerait qu’ils passent à travers.
Rétiaire(s), nom qui évoque les gladiateurs qui combattaient avec un trident et un filet, autrement dit dans des conditions acrobatiques qui nécessitaient de l’entrainement et de la ruse, est un bon polar qui plaira à ceux qui aiment la littérature nerveuse, l’immersion totale dans des milieux où la vie humaine ne pèse pas lourd, les ambiances lourdes de flics hargneux et de truands mauvais comme la gale.
François Muratet
Rétiaire(s) de DOA, Série Noire, 2023
Illustration © Gina Cubeles 3-2023.