Lire Et toujours les forêts dans un confinement de fin du monde, la bonne idée ?
Pas vraiment.
Et pourtant, au début on a envie d’aimer le livre, même si on ne connaît rien à l’anticipation ni aux romans post-apocalyptiques. On lit avec intérêt le récit de l’enfance de Corentin, de sa vie ballotée jusqu’à la forêt salvatrice où sa mère le confie à une arrière-grand-mère peu conteuse. On s’intéresse à cette marmaille bien qu’il y ait dans la pâte un je-ne-sais-quoi, un quelque chose qui gêne aux tournures de phrases, un petit caillou dans la chaussure, une espèce de truc, là, qui gratte quelque part.
Corentin grandit, il quitte la forêt pour aller étudier en ville, se fait des amis, et voilà que la catastrophe arrive. Voilà que tout le monde est mort, tout est brûlé et la vie anéantie, sauf lui et une poignée d’autres, endormis dans les catacombes après une fête. Et voilà que les copines et copains se marchent dessus pour sortir sans s’inquiéter les uns des autres. Voilà qu’ils ne se connaissent plus. Et voilà que quand ils arrivent dehors, ils partent chacun de leur côté sans se parler, ceux qui étaient cul et chemise avant la fin du monde. Et c’est là que la gêne du début commence à se préciser. Tout est soufflé, crevé, archi-charognes et tas fumants et ces humains-là ne restent pas ensemble ? Ne se serrent pas une minute les uns contre les autres ? Alors qu’il n’y a pas l’ombre d’un virus entre eux ?
Le ton est donné. Corentin est tout seul, pas un survivant à la ronde, rien de rien, ni animal, ni végétal. Il se met en route vers la forêt de son ancêtre et après pas mal de kilomètres, rencontre enfin un bonhomme dans une voiture roulant sur jantes puisque tous les pneus ont brûlé. Ils font route ensemble quelques heures sans rien dire et quand l’auto ne marche plus, ils se séparent, chacun vaquant à ses occupations. Corentin poursuit sa route et l’autre tente de réparer sa mécanique.
Mais de quels humains s’agit-il donc ? Qui préfèrent rester seuls dans un monde où pas un cafard, pas un campagnol n’a survécu, où il n’y a plus de soleil et où le silence rend fou ? Alors que moi, ici solitaire, sans chien ni chat, je rêve d’enlacer ne serait-ce qu’un raton laveur? Ils sont sidérés, nous dit l’autrice, coupant ras la palabre et faisant fi de l’instinct grégaire.
Le livre continue sur sa lancée. Corentin manque d’entrain mais voilà qu’il va retrouver une motivation, une fois parvenu dans son hameau de la forêt, quand il rencontre une amie d’enfance qui a survécu elle aussi. Il va repeupler la terre. Il décide donc de violer la survivante pour le bien de l’espèce puisqu’il ne reste qu’eux deux. Il s’y résigne devant le manque d’intérêt de Mathilde, nous explique Sandrine Colette, contraint et avec moult regrets. Quelle autre option a-t-il ? Poursuit l’écrivaine, il faut bien qu’il s’attelle à la tâche. Il ne reste que des conserves en quantités limitées et rien ne repoussera sur la terre contaminée mais il faut envoyer les marmailles !
Mais le roman ne s’en tient pas là, non, non. Voilà que les seules bêtes ayant survécu à l’apocalypse, à part un chien que notre héros a opportunément adopté en route, sont des loups ! Des bêtes hurlantes qui arrivent en meute, avides de chair humaine.
Vivent-ils dans des terriers quatre-vingt-douze pieds sous terre les loups, pour avoir échappé à tout ? S’ils étaient des renards encore, ou des taupes, des blaireaux, des mouffettes, des insectes, on comprendrait. Mais poursuivons. Voilà qu’après les loups arrivent les barbares, seuls survivants à former des groupes hors liens familiaux. Et que font ces groupes ? Ils pratiquent pour le plaisir le massacre et la torture à tout crin.
Alors je pose la question du fond du terrier où je ronge tout seul mon confinement : Quelle vision de la vie est-ce là, Madame Colette ? Quelle vision de la terre, des animaux, et des humains ? On pourrait imaginer en 2020, à deux doigts d’une catastrophe qu’on entrevoit un peu mieux maintenant qu’on est cloués dans une pandémie, sortir de ce point de vue mortifère, cette vision de la nature hostile qui ne vit que la loi du plus fort. On pourrait imaginer aussi qu’un humain qui survit à un cataclysme résultant de l’avidité malade des hommes pourrait construire autre chose qu’une société basée sur le viol, l’accaparation et le repli identitaire (la femme du futur chef de famille, donc de clan, est issue du même terreau que lui). On pourrait imaginer d’autres réflexions et d’autres systèmes, mais ce n’est pas le sujet de Et toujours les forêts.
Sandrine Colette banalise la violence de genre au nom d’un intérêt supérieur. C’est la formule habituelle pour justifier l’oppression. Que vont faire les nouveaux Adam et Ève chassés du paradis par une puissance incompréhensible (on ne sait pas ce qui s’est passé exactement) ? Mathilde, la femme forcée et reforcée, accepte de se soumettre, résignée à tenir son rôle historique. Elle n’est guère plus qu’une matrice, comblée par ses enfants issus des viols à répétition et finit par ne plus détester son agresseur. Corentin, qui au départ n’avait rien d’une canaille, dévoile son vrai visage de destructeur qui ne peut baser sa vie (et quelle vie, tout un nouveau monde à construire dans des conditions extrêmes) que sur le saccage de l’autre, un pauvre type prêt à tout pour assurer la survie de son espèce nuisible.
Sandrine Colette décrit des humains incapables de se penser et de communiquer, intrinsèquement étrangers à l’altruisme, à la solidarité, et à toute autre loi, pour aller au bout de sa démonstration, que celle du sang.
Autant dire, et c’était bien ce qui grattait, là derrière, depuis le départ, cette chose collée sur la nuque déjà détectable dès les premières pages, que le fascisme est naturel. Autant dire, et c’est ce que fait ce livre, qu’après anéantissement ce serait le modèle d’organisation spontanée de l’espèce humaine. La famille et la patrie en rempart contre la barbarie. Peu importe la transformation du jeune homme sympathique de départ en violeur puisqu’elle est naturelle.
Il est beaucoup question de silence dans le roman de Sandrine Colette et un profond silence se fait effectivement à la lecture de ce texte. On est devant une misanthropie et une résignation qui laissent pantois. Le héros-violeur-reproducteur victimisé par l’autrice est ignominieux et son postulat de départ foncièrement totalitaire.
Pierre-Romain Valère
Et toujours les forêts, de Sandrine Colette, Jean-Claude Lattès, 2020