Ce spectacle crée en 2018 au théâtre de l’Opprimé, raconte l’histoire de Larie, jeune nageur de compétition qui, un jour, abandonne la natation pour devenir comédien. Sur la scène du théâtre de Belleville, l’artiste aquatique qu’il est devenu n’a rien perdu des sensations de glisse, des gestes mille fois répétés, de l’enchaînement rigoureux pour la culbute, un virage effectué en compétition, correspondant à une rotation du corps et à un appui des pieds contre le mur du bassin. Nous apprenons que chaque nage a son tempo, son nombre de battements par minute, sa chorégraphie. La brasse se joue à 40 bpm, le papillon à 60 et le crawl à 70. Le dos c’est plus encore, 80.
Le comédien crée des images à chaque instant, la symphonie du souffle, la vibration du buste, la poésie du courant, le mouvement de l’ondulation qui propulse le nageur sur l’air des chevaliers de Prokofiev. Dans Cent Mètres Papillon, les gestes sont dansés. L’acteur glisse sur le plateau, marche en crawl, caresse la scène, l’apprivoise comme l’eau des bassins. On n’ignore rien de la chambre d’appel, des tactiques d’intimidation, de la solitude. On voit l’entraîneur monstrueux et comique qui invite les nageurs à prendre l’eau comme un chat qui trempe ses pattes dans du lait.
L’auteur interroge avec beaucoup d’intelligence les liens entre sport et art dramatique, les mécanismes de pression, les troubles de la création et la difficile maîtrise du libre-arbitre. Un entraîneur serait-il chef d’orchestre, metteur en scène ? Cet univers aquatique, écrit Maxime Taffanel dans la note d’intention, m’avait privé de la parole… « L’expérience théâtrale est devenue une source de questionnement sur la mise en jeu d’une parole en mouvement. » On se souvient d’un autre spectacle, André, crée en 2015 par Marie Rémond, qui dévoilait l’intériorité des sportifs de haut niveau, ces machines à gagner, et montrait leur fragilité, leurs doutes. La pièce relatait le parcours initiatique d’André Agassi, tennisman star qui, à l’issue de son dernier match, après trente ans de records battus, révéla qu’il abhorrait le sport dont il était devenu le héros. Larie, lui, en vient derrière le plot de départ à se demander ce qu’il fait là.
Au final l’homme-dauphin s’efface et le comédien apparaît endurant à la répétition du geste comme du texte ; il respire profondément et nous regarde, comme perdu sur le plateau vide qui semble immense, à sa place, tout simplement, avec nous dans son survêtement de compétition. C’est beau, ne ratez pas ce spectacle quand il reprendra.
Sylvie Boursier
Photo Ludo Leleu.
Cent Mètres Papillon, texte et interprétation de Maxime Taffanel, mise en scène Nelly Pulicani, au théâtre de Belleville, 94 rue du Faubourg-du-Temple, Paris 11. Représentations suspendues pour cause de confinement.
Tournée 2020-2021 à Saint -Jean-de-Braye, Cachan, Epinal, Annecy, Hazebrouk, Font-Romeu, Nîmes.