« Avec un visage comme le mien comment s’attendre à une carrière sur grand écran », déclara Peter Lorre. Karim Leclou, le personnage central du film, a quelque chose de M le Maudit, la noirceur en moins. Aymeric est un pilier de rugby qui encaisse les coups du sort sans protester, trouve des excuses à tout le monde, résiste à la violence et fait face, placide sans être faible. Le jour où sa route croise celle de Florence, célibataire et enceinte de 6 mois, il n’est pas en mal d’enfant. Présent lors de l’accouchement, il accompagne le petit Jim pour ses premiers pas et sa vie précaire se transforme à son contact, l’amour entre eux est une évidence… jusqu’à ce que la vie sépare Jim d’un père qui n’est pas le sien.
Le cadre privilégie les plans américains amples comme si les Larrieu regardaient leurs personnages évoluer sur cette terre rude et douce du Jura aux allures de Montana, — Steinbeck n’est pas loin — jusqu’au plan final, beau à pleurer, dans lequel pour la première fois Aymeric se relève d’une sacrée ascension.
De quels pères est-on l’enfant ? Le Roman de Jim montre la filiation sans mots, sans explications ni mièvrerie dans une transmission invisible. Les pères peuvent être des mères suffisamment bonnes et les femmes solaires capables d’encourager un intérimaire qui se fout d’enchaîner des missions sans intérêt, ni beau, ni moche mais vivant, terriblement vivant et libre. Il faut le voir se jeter à corps perdu sur une piste de techno dans une ultime confrontation, lui qui n’a pas le sens du rythme et ne danse jamais.
Ce qu’on a chéri est voué à disparaître et nous revient différent. Entre-temps, Jim a grandi mais nous, on est resté bloqué à 10 ans. Qui, du père ou du fils, élève l’autre, 20 ans après leur rencontre ? Vous n’oublierez pas le visage d’Aymeric, son regard aux mille nuances, de la joie à la mélancolie, ses hésitations et sa dégaine maladroite, un homme digne, bourré de charme et qui ne le sait pas. On se demande comment le film aurait existé sans Karim Leklou.
Sylvie Boursier
Photo © Guy Ferrandis
Le Roman de Jim, film d’Arnaud et Jean Marie Larrieu est en salle depuis le 14 août.
Le Roman de Jim de Pierric Bailly a été édité chez P.O.L en 2021.