Gina Cubeles © Macro Micro Earth, fragment, Atmosphere and Oceans 2023

Chagrin d’un chant inachevé
de François-Henri Désérable

Si François-Henri Désérable raccourcissait son nom, ce serait autant de signes gagnés sur la possibilité de parler de son œuvre. De la même façon, ne pas avoir fait cet inutile commentaire permettrait de consacrer plus de mots au Chagrin d’un chant inachevé, récit qu’il publie aux éditions Gallimard.

N’importe comment, il n’est pas nécessaire d’en faire des tonnes sur ce récit.
Si je me laissais aller j’en évoquerais l’absolue perfection, moyennant quoi, personne ne me croirait, un doute affligeant s’installerait, la noire prunelle de la suspicion s’immiscerait par-dessus ces lignes…
Il me faut donc argumenter.

C’est que, voyez-vous, l’une des grandes forces de ce livre ce n’est pas tant de nous conter des péripéties sur les traces du Che Guevara, non, la puissance de FH.D c’est la délicatesse de nous avoir emmenés avec lui ou de nous le faire croire.

Le rythme de la narration, disons cette tonicité tranquille, nous entraîne allègrement au bout du voyage. L’humour — on trouvera bien un jour un chercheur pour développer une thèse autour de l’humour si particulier de Désérable — est présent à tous les coins de rue, quand bien même seraient-elles mal famées et elles le sont parfois.

Voilà donc résolues les questions pratiques et les inquiétudes ; on prend infiniment de plaisir à la lecture de ce récit. Ce qui n’est pas mal pour ce qui me concerne car il me faut avouer que les voyages m’ennuient profondément, la simple idée de me déplacer d’un point à un autre me hérisse le poil, fût-ce de chez moi à un autre quartier et pour faire référence à ce livre, il me semble qu’aucun de mes meubles ne contient un sac de voyage, ce que je m’en irai vérifier illico presto dès le stylo posé. S’il s’avérait que je me fusse trompé, je le nierais avec toute la mauvaise foi possible.
Pourquoi donc cette indifférence aux pérégrinations en terrain inconnu voire exotique me conduit-elle tout de même à exprimer mon admiration pour ce livre ?
La réponse est assez simple. C’est à cause de son style. De la flamboyance à cette élégante retenue de l’écriture, du potache quant à l’humour au percement de l’Humanité dans la description furtive d’un geste plus furtif encore.

Et pour reprendre l’argument du début, celui de la délicatesse de nous avoir emmenés avec lui, argument contestable, voire suspect, si l’on s’en tient à la détestation évoquée de semblable inutile loisir, il faut en compléter le sens en précisant que c’est bien dans son écriture qu’il nous emmène, dans son monde, son univers. C’est bien à ce critère qu’on reconnaît un écrivain ?

Christian Vigne

Chagrin d’un chant inachevé, François-Henri Désérable, Gallimard 2025

Illustration : Gina Cubeles © Macro Micro Earth, fragment, Atmosphere and Oceans 2023