Au nom du Père
au théâtre de Belleville

L’art n’a jamais eu de place dans la famille d’Ahmed Madani, ni dans celle de sa complice, Anissa, pâtissière à ses heures. Comment vient-on au théâtre quand on est né « au bled ? » Par quelles voies ? À travers quels hasards, quelles nécessités, quels chemins d’existence ? le théâtre n’a jamais changé le monde mais il permet de faire entendre sa voix, c’est déjà beaucoup.

Au nom du père nous conte, au sens propre, l’histoire vraie d’Anissa, fille d’émigrés rejetée par son père dont elle n’a qu’une photo, fausse en plus, donnée par sa mère. Un jour, alors qu’elle regarde la télévision, elle croit le reconnaître dans la personne d’un pâtissier installé dans le New Hampshire aux États-Unis. Encouragée par son mentor Ahmed Madani, présent sur le plateau, elle n’aura de cesse de tenter l’impensable, rencontrer son géniteur. Tel un road-movie, son enquête la transporte de Marseille au fin fond des terres sauvages du nord des États-Unis en passant par la banlieue parisienne comme un rêve éveillé que les spectateurs, ballottés entre fiction et réalité vivent en même temps qu’elle. Ils sont invités à projeter leur propre histoire, à discerner en direct le vrai du faux et, contrairement aux jeux télévisuels débilitants, ce dispositif crée du lien entre salle et scène.
La « fabrication » du spectacle devient une aventure à deux, tandis qu’Anissa avance vers son destin, Ahmed, présent au plateau, opine du chef, prend des notes, sourit malgré lui, dans sa cuisine d’auteur avec le désir inouï de sauver quelque chose, par la littérature. Anissa, elle, prépare des macarons au chocolat partagés à l’issue de la représentation. La vidéo, les photos élargissent le récit aux scènes hors champ du périple aux États Unis.

Par-delà une histoire simple, racontée sans chichis, Au nom du Père distille avec humour ces instants décisifs qui peuvent faire basculer une vie, le puzzle troué d’hier recollé avec les mains d’aujourd’hui, la vie atrophiée sous le poids des renoncements, qu’une coïncidence inouïe, éjecte de son ornière quand les humains sont invités à aller voir ailleurs s’ils y sont.

Au nom du père est une fable, sans princesse ni ogre, mais où l’improbable devient l’évidence, la rencontre entre un homme de théâtre et une femme solaire ; c’est aussi une histoire d’amour par-delà l’espace et le temps. Une histoire impossible donc, et pourtant, ça marche.

On ne fait pas de théâtre avec de bons sentiments, pas plus qu’avec de la générosité. Mais pas non plus complètement sans elle.

Sylvie Boursier

Photo @Saël Darrig

Au nom du Père, mise en scène d’Ahmed Madani, au théâtre de Belleville, Paris, jusqu’au 27 février 2026
Tournée : les 5 et 6 mars 2026 au théâtre Ligéria (Sainte-Luce-sur-Loire), les 10 et 11 mars au théâtre de Melun, les 13 et 14 mars à l’Espace Prévert d’Aulnay sous-bois, le 17 mars au centre pénitentiaire d’Osny-Pontoise, du 9 au 11 avril au théâtre Jacques Cœur de Bourges.