Avez-vous vu Slalom
de Charlène Favier ?

Lyz, âgée de quinze ans, intègre une classe de ski-études animée par un ancien champion de ski, Fred. C’est une adolescente assez secrète et très isolée : son père semble se foutre d’elle puisqu’il ne paye pas la pension alimentaire, obligeant sa mère à la laisser seule pour aller bosser à Marseille. La mère elle-même semble dépassée par cette gosse qu’elle connaît peu, ne comprend pas et dont elle a du mal à se soucier suffisamment.

Le film traite d’un sujet éminemment sensible, les violences sexuelles dans le milieu du sport. Les skieuses Catherine Gonseth et Claudine Emonet, à peu près à l’époque où ce film sortait, révélaient avoir été victimes d’un entraîneur alors qu’elles étaient de jeunes skieuses, et de façon générale suivant la dynamique de Me Too de rompre le silence et l’omerta sur les violences sexuelles, ces dernières années une avalanche de témoignages ont démontré que le milieu du sport était à peu près aussi propice aux abus que l’Église catholique. La particularité de ces relations d’emprise entre un entraîneur et la très jeune sportive qu’il entraîne, est d’être centrée sur ce corps non seulement approprié mais pesé, mesuré, contrôlé, entraîné, surveillé, poussé dans ses limites.

Le film met en scène avec prudence une relation d’emprise toujours incertaine où un entraîneur pulsionnel et frustré mais motivé et efficace abuse de sa position par rapport à une adolescente à laquelle à aucun moment il ne plaît, mais qui pense avoir cruellement besoin de lui car il lui fait entrevoir les victoires dont elle rêve, et compense par son attention obsessionnelle à son égard l’abandon dont elle souffre, son père comme sa mère ne s’intéressant à elle que par la bande. Or elle ressent une ivresse particulière à skier, un bonheur animal à se trouver dans la neige. Les études ne l’intéressent pas énormément, ce qu’elle veut, c’est la performance dans ce milieu magnifique et écrasant de la montagne. Elle est plutôt solitaire et très ambitieuse. Noée Abita, bien qu’elle soit plus âgée, est une adolescente très convaincante. Quant à l’entraîneur, Fred, brute incohérente jouée avec finesse par Jérémie Renier, s’il est incapable de se contenir et impose à la gamine des abus répétés allant jusqu’au viol, il est patent que l’intérêt qu’il a pour elle et même pour son corps est essentiellement celui d’un coach obsédé par la performance et assoiffé de revanche par procuration, les deux traitant ces dérapages criminels comme s’ils pouvaient faire avec, par un déni parallèle.

En cela le film montre très intelligemment les arrangements provisoires dont se nourrit toute relation d’emprise. Aucun des personnages n’est traité de façon caricaturale, mais la faillite des adultes, de la mère à l’entraîneur en passant par le père et même Lilou, la compagne de Fred, est quasi totale. Les autres adolescents, quoique Fred joue assez perversement les uns contre les autres, se montrant facilement odieux et entretenant dans son équipe des jalousies qui ne sont pas que sportives, ne sont pas tendres, mais le personnage de Justine, joué avec beaucoup de spontanéité par Maïra Schmitt, sort du lot et offre une présence lumineuse. Ne se laissant pas rebuter par une Lyz traquée et brutale, elle reste vigilante et ne l’abandonne pas, l’amitié ayant vite réglé son compte à un élan amoureux provisoire.

Cette histoire en demi-teinte, chargée de violence mais jamais complètement oppressive, se déroule dans le décor gigantesque de la haute montagne savoyarde, parfois noyée de brume, souvent de nuit, et alors la poudreuse a une luminosité magique, et dans le scintillement diurne ou nocturne de la neige qui tombe. Les images sont magnifiques, comme cette vue du ciel où on voit les deux skieurs, sur la surface blanche striée de vagues, se coordonner progressivement, ou à la fin, quand les flocons tombant de la nuit semblent une chevelure embrouillée par les courants, avant de filer à une vitesse folle.

Ce qui préserve du désespoir, c’est que tout au long du film on sent bien que cette emprise circonstancielle, pour horrible qu’elle soit, n’est pas fatale, que Liz, 15 ans, est vulnérable mais potentiellement puissante et que Fred ne peut maintenir son autorité sur elle que si elle a besoin de lui parce qu’elle n’est pas encore sûre d’elle, ce qui inexorablement va changer. C’est un très beau film non seulement sur l’emprise mais sur l’adolescence, et particulièrement sur cette adolescente obsédée de performance et qui finit par trouver sa force.

Lonnie