Photo © Adèle O’Longh

En l’absence du capitaine
de Cécile Coulon

Comme le dit Cécile Coulon dans un de ses beaux poèmes, elle n’a que des mots simples, et on pourrait dire pour exprimer des choses simples et profondes, simples et violentes, comme le deuil, l’amour, la peine, la douleur, et cet amour particulier qui nous attache à la terre. « En l’absence du capitaine » est un recueil de poésies qui dans un premier temps, une première partie, « Capitaine », parlent de la perte d’une grand-mère aimée et qui fut un étai pour l’enfant Cécile, désormais privée de la capitaine qui avait donné à sa vie un sens et une façon de naviguer, et dans une deuxième partie plus longue, « Continuer », de cette continuation de la vie à travers les écueils et les grandes joies de l’amour. Cet extrême dépouillement de la langue va de pair avec la grande richesse de ce qui est enfantinement exprimé et figuré. C’est quelque chose de radieux et d’émouvant de suivre ce cheminement de vagabonde à travers des chemins sauvages profondément aimés, dans des maisons qui sont comme des ventres, dans des sentiments qui n’ont pas honte de leurs couleurs de confiseries. Cette simplicité rend exactement l’épaisseur de l’absence, la trame de la perte et du regret, comme elle rend les éblouissements ou les plongées dans l’opacité heureuse de l’amour :

« AIMER MAINTENANT

Je t’ai toujours aimée
d’une manière particulière
et vivante. Les livres
ne m’ont pas donné,
à ce sujet, le réconfort
des géants silencieux.
Tu étais ma géante silencieuse :
tu n’es plus là depuis longtemps
et ce soir je me demande
ce que signifie
aimer, maintenant

Ma vie est pleine d’une tendresse
franche et quotidienne,
chaque jour je sais ma chance,
je sens l’amour qui a pris sa place
comme le chat occupe un panier
auparavant utilisé pour les courses
du week-end.
J’aime avec la sensation
de n’être plus que cela :
une joie humaine qui,
prenant soin de l’autre,
comprend la grandeur qui est en elle.

Tu as été ma grand-mère
et j’ai acquis dans l’enfance
le don de ne rien dire
et celui de reconnaître.
Comment faire à présent
que le professeur n’est plus là ?
Je pense à toi et soudain
tes forces habillent ma nuit
jusqu’au matin.

Aimer maintenant, c’est prolonger
cet amour à travers
des mots simples et fragiles :
c’est bête, mais toi,
tu m’appelais ta petite,
aujourd’hui tout le monde
m’appelle Cécile. »

Cécile Coulon, elle le dit et le répète, se soucie peu d’être déracinée de ses montagnes. Elle se fout du monde dément qui tricote ses destructions humaines, rongeant les derniers limes, elle défend la noblesse de la lenteur, de l’amour, de la loyauté, du lien profond, indéfectible avec les paysages qui ont la forme de son âme, une âme de violoncelle, en résonance profonde avec tout ce qui la modèle et l’entoure. Elle s’y conforme avec plus que de la docilité, de la ferveur, et la liberté d’ajouter ses couleurs et ses variations à ce qui d’être écrit ne cessera pas pour autant de courir depuis le fond des âges, et de changer, et d’ajouter comme une trobairitz des gestes aux gestes, mais il ne s’agit plus de personnages héroïques, seulement d’amours languides, de beaux paysages aimants, de fidélité à la terre et à tout ce qu’elle porte de joie, de femmes aimées, de maisons aussi significatives que des corps vivants.

« MARDI MATIN

Ma bien-aimée dort à mes côtés
il est sept heures du matin,
la fenêtre est ouverte
sur un ciel rose et bleu,
des moineaux vont et viennent,
Dieu secoue la tête dans un clocher.
Il y a une douceur de dimanche
dans ce début de journée.

Ma bien-aimée est couchée sur le ventre
dans mes draps blancs rayés,
je suis déjà réveillée,
mille choses doivent être accomplies cette semaine
mais le plus important
c’est ce moment où, encore endormie,
elle frôle ma cuisse pour vérifier que je suis là, renifle un peu,
dans son œil le sommeil ne veut pas s’en aller.

Il y a des jours où « je t’aime »
signifie
quelle chance d’être ici,
ensemble,
le monde entier cogne à notre porte
et nous ne l’entendons pas. »

Lonnie

En l’absence du capitaine de Cécile Coulon, Ed. Le Castor Astral, 2022

Photo © Adèle O’Longh