Dans l’écrin douillet d’un intérieur tapissé de toile de Jouy, une boîte à couture, un pèle-pomme, un œil-de-tigre (une amulette), un parapluie et une lampe prennent la parole, en l’absence de la propriétaire des lieux. « Nous, les objets, quelques-uns, ce soir, on va sortir de notre silence. On a des choses à vous dire », déclare Hervé Pierre dans le rôle du pèle-pomme. Christine Montalbetti, auteure de la pièce, renouvelle l’expérience poétique de Francis Ponge dans Le parti-pris des choses. En écoutant la musique de ces petits riens on revoie certains témoins de notre enfance, la boîte à musique, les rubans des êtres aimés qui ne sont plus, leurs sourires, leurs silhouettes dans la cuisine, entourées du bric-à-brac familier, l’odeur des fruits et des fleurs.
Rien de mièvre dans cette mise en scène minimaliste, même si la succession des monologues peut paraître répétitive dans la dernière partie de la pièce. Les objets en miroir renvoient à nos propres rapports de servitude, à notre peur de la relégation et à la passion de la liberté. Mais surtout ils nous rappellent la puissance vitale du rêve ; Pierre Louis-Calixte, le parapluie, esquisse quelque pas de danse tout en rêvant d’être un cerf volant, « Je chante sous la pluie, Je chante simplement sous la pluie, quelle sensation magnifique !, je suis heureux de nouveau » ; le refrain de Singing in the rain* résonne avec la couleur des jours heureux. Dans son ouvrage Psychanalyse de l’image, Serge Tisseron*, à la suite du philosophe Bergson, développe l’idée que les images ont une puissance de sensorialité, de mémoire, de désir. Il en est de même pour les objets symboliques, à qui les cinq comédiens ont choisi de rendre la parole. Misère et sublimation de la condition d’objet. « Ça doit être si beau d’avoir une vie sexuelle, dit Anna Cervincka dans le rôle de la lampe. La complexité des personnes vivantes, ça me tue. » Christine Montalbetti s’est entretenue avec chaque comédien sur les objets qui ont compté pour eux ; elle a ensuite construit un texte tissé de leurs imaginaires réciproques à déguster comme les contes de notre enfance.
Sylvie Boursier
Photo © V. Pontet, coll. Comédie-Française
La conférence des objets, création 2019 mise en scène par Christine Montalbetti au Studio de la Comédie-Française du 28 novembre 2019 au 05 janvier 2020. Reprise à prévoir.
La Conférence des objets, de Christine Montalbetti, éditions POL, 2019.
*Chanson fétiche du film Chantons sous la pluie de Stanely Donen et Gene Kelly, 1952.
*Psychanalyse de l’image, de Serge Tisseron, éditions Dunod, 1995.