C’est un livre qui laisse des traces, qui griffe comme les ronces que l’on brave pour attraper de bons fruits. C’est que les humains ne sont pas tendres, qu’ils ne l’ont jamais été, en particulier quand il s’agit de leurs appétits charnels et matériels. Mais les muriers de cette histoire sont tout autres que les ronces, ce sont les amouriers, plantés en Pays d’Oc pour nourrir les vers à soie. Le polard est aussi un document précis sur l’industrie de la soie au XIXème siècle, et au début du XXème dans le Sud de la France, l’auteure y décrit le travail des jeunes et des petites filles sous la houlette de leur contremaître. Tout un univers se développe sous les mots, avec ses dominants et dominés, raconté sans concession, en parallèle d’une intrigue similaire qui a lieu cent ans plus tard. Ainsi l’on passe d’une époque à l’autre, dans un même lieu, avec une même famille, hier et aujourd’hui. Et l’auteure nous fait apercevoir combien les injustices demeurent bien qu’elles ne prennent plus tout à fait les même formes.
Ce sont donc trois histoires, qui se croisent au fil des chapitres, et qui charment à la fois par leur réalisme, leur poésie et leur intensité. Ce qui est admirable c’est que le récit est porté par une écriture légère, délicate, que l’on pourrait dire tissée comme de la soie, pour produire des univers puissants, denses, des personnages profonds et touchants voire révoltants. Ainsi le lecteur est-il transporté dans des intrigues où les questions de survie sont toujours présentes. On y parle aussi la langue d’Oc et l’argot dans des mondes qui nous sont proches, où les enfants qu’ils aient 10 ou 20 ans restent les victimes les plus accessibles pour les cyniques les mieux comblés par leur naissance.
Alegría Tennessie
La meute des honnêtes gens, de Laurence Biberfeld, Au-delà du raisonnable, 2015
Dessin © Ariane Segelstein – Encre sur papier, 29,7 x 42 cm, 2015