Flinguez pendant que c’est chaud
C’est un polar taïwanais, dans le sens où l’auteur est de Taïwan, une partie de l’intrigue s’y déroule et beaucoup de personnages y habitent, mais comme on est bien dans du polar, ce matériau littéraire issu de l’urbanisation, de la perte des idéaux, de la violence des sociétés modernes, le lecteur se retrouve avec une histoire assez universelle (pour des urbains désabusés amateurs de romans noirs comme nous), qui colle fort bien aux canons de l’écriture cinématographique, débouché espéré sans doute de ce roman.
Ce qui est marrant, c’est que la recherche taïwanaise d’exotisme pousse l’auteur à prendre pour cadre Rome, Florence, Budapest, un chalet en Tchéquie, comme dans un James Bond. C’est curieux de voir que l’Europe peut être l’exotique des autres. Mais du coup, ça ne raconte pas beaucoup Taïwan.
Le titre est alléchant et il anticipe bien ce qui va nous être raconté. Une histoire de sniper, donc, un gars qui travaille pour les services secrets avec son fusil, mais aussi une histoire de fidélité, d’obéissance aux ordres, et bien sûr en contrepoint de rébellion contre l’autorité. Car ici le sniper est une sorte de surhomme (James Bond, je vous disais), capable de tout si on la lui fait à l’envers (expression je crois à forte connotation sexuelle, mais peut-être pas, que je n’hésite pas à utiliser ici à titre expérimental).
Une histoire de sniper mais aussi de wok, car le sniper cuisine fort bien, au point de tenir une petite gargote (en Italie, dans les Cinque Terre !) entre deux contrats et d’y faire d’excellentes nouilles sautées, dont la recette assez simple implique un coup de main impossible à décrire, ou alors l’auteur ne nous dit pas tout, ou peut-être qu’il n’en sait pas plus ?
La critique sociale est vaguement présente, surtout contre les chefs, un peu contre l’armée trop disciplinée, dont on vante toutefois la formation exigeante des tireurs d’élite, et un peu contre les trafiquants d’armes, contre les réseaux américains et ukrainiens qui se concurrencent pour vendre des chars (c’était avant) mais ce n’est pas très développé. À noter aussi un rappel sur la naissance de cette république nationaliste, l’arrivée des militaires battus par les communistes en 1949, leur volonté de se reconstruire, rien de très décoiffant mais bon, c’est un polar très plaisant qui se lit d’une traite, avec des personnages attachants, qui donne tout le temps envie de faire sauter des nouilles avec des œufs puis de rajouter des oignons frais coupés très fin.
Dans un wok, bien sûr.
François Muratet
Le sniper, son wok et son fusil, de Chang Kuo-li, série noire Gallimard 2021, Folio policier septembre 2022
Photo © Adèle O’Longh