Le Chaperon rouge de la rue Pigalle
à la Manufacture des Abbesses

Grisélidis Réal, la célèbre prostituée suisse, a fait inscrire sur sa tombe : « Écrivain – Peintre – Prostituée ». Cathy, le chaperon rouge de la rue Pigalle, fille de joie au manteau rouge de 21 à 79 ans est morte sans épitaphe, seule, totalement dépouillée, probablement victime d’agression. Nulle enquête ne fut ouverte suite à sa découverte un mois après son décès.

Florence Hebbelynck est comédienne. En 2002 elle habitait rue Pigalle à côté de chez Cathy. Touchée par cette femme, elle proposa d’enregistrer son témoignage. Quelque 16 ans plus tard, elle décide de mener une enquête journalistique et confronte des anciennes relations de Cathy aux enregistrements. Leur regard nourrit une fiction originale et un récit choral bouleversant sera adapté à la scène.

Le plateau est jonché de petits marchepieds en plastique comme les mille morceaux d’un puzzle, des bouts de vie à recoudre. Vont se succéder les témoins, un journaliste féru de cinéma qui évoque Belle de jour de Luis Buñuel, la nièce de Cathy rongée par la culpabilité, une bénévole catholique à la Le Quesnoy du film La vie n’est pas un long fleuve tranquille avec son époux Jean Patrick, et le propre fils de la comédienne. Loin des clichés, on les voit rechercher le mot juste, tenter d’approcher un être dont le public comprend vite qu’il échappe à toute vérité univoque. La lumière joue un grand rôle, elle entoure chacun d’un écrin d’écoute et d’intimité.

Florence Hebbelynck incarne Cathy face public et, à l’aide d’une perche télescopique pourvue d’un micro, elle enchaîne les interviews dans son propre rôle. Nicolas Luçon l’accompagne. Leur interprétation force le respect par sa justesse et sa simplicité. Cathy affirme son indépendance, elle croit se servir des hommes pour ne dépendre de personne. Violée par son tuteur, abandonnée par sa mère, elle affirme s’être sortie de la misère avec la tendresse et l’argent de ses « habitués ».

Cette femme nous dérange, nous irrite, nous intrigue, nous émeut et finalement nous questionne au-delà de la prostitution elle-même. Cathy se livre volontiers et se raconte différemment en fonction de l’interlocuteur. La fiction rend la vie supportable, elle permet de se libérer des fantômes, des regrets, des douleurs. En même temps, que faisons-nous de nos mensonges, des justifications qu’on se raconte pour tenir. Qui était vraiment cette femme derrière les personnages qu’elle donne à voir ?
De quoi Florence Hebbelynck est-elle dépositaire ? quelle transmission de Cathy à Florence ? Pourquoi cette histoire vraie est-elle devenue fiction ? Ceci est une autre histoire dont elle seule a la réponse.
Quelque part une femme a disparu, aussi nue à sa mort qu’à sa naissance, ignorée et invisible, « une fille du port, une ombre de la rue » disait Edith Piaf. Il ne faut pas faire parler les morts mais le théâtre nous y autorise, la silhouette au manteau rouge n’aurait peut-être pas renié ces vers de sa consœur suisse dans Mort d’une putain :

« Enterrez-moi nue,
Comme je suis venue,
Enterrez-moi droite
Sans argent, sans vêtements
Pour te rejoindre enfin ma mère
Et retrouver dans ton sourire
L’innocence qui m’a manqué. »

Allez-y !

Sylvie Boursier

Photo © Estelle Rullier

Le Chaperon rouge de la rue Pigalle, adaptation de Florence Hebbelynck, mise en scène de Stéphane Arcas

Jusqu’au 01 novembre 2022 à la Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron 75018 Paris, les dimanches à 20h, lundis et mardis à 21h.

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