Photo © Adèle O’Longh

Out
de Natsuo Kirino

Quatre femmes aux destins domestiques pourris travaillent la nuit dans une usine de paniers-repas. Masako vit seule avec son mari et son fils, tous deux pareillement repliés sur eux-même et indifférents à elle. Tous deux sont en échec social et ne se confient pas. Kuniko, la plus futile, vit dans un appartement minuscule avec un homme qu’elle trouve minable et voudrait désespérément s’en sortir, elle ne cesse de s’endetter pour avoir l’impression d’être à l’aise. Yoshié, la plus vieille et la plus compétente, est tyrannisée à la fois par sa belle-mère grabataire et par sa fille adolescente. Yayoi, la plus sentimentale, est tabassée par son mari violent qui dilapide tout leur argent. Quoique ne se ressemblant pas du tout, les quatre femmes sont unies à l’usine et se confient les unes aux autres. Elles ont en commun de ne pas compter dans la société japonaise, d’être totalement négligées, invisibles.

L’usine fonctionne avec un personnel dévalué fait de femmes et d’ouvriers principalement brésiliens. Au début du récit, un obsédé sexuel agresse les ouvrières, ajoutant à la lourdeur de l’ambiance. Et puis Yayoi tue son mari et appelle Masako au secours pour se débarrasser du corps. Pour finir, toutes les quatre vont se retrouver embringuées dans une véritable descente aux enfers.

Ce roman frappe par la singularité de chacune de ces femmes, des caractères très marqués, par leur situation commune d’impasse sociale : enfants ingrats, époux violents ou démissionnaires, boulots pourris, qui font qu’elles se désolidarisent de tout, de leur famille, des unes par rapport aux autres. Leur fonction sociale traditionnelle, torcher, nettoyer, empaqueter, servir, rend presque naturels les horribles enchaînements de circonstances dans lesquels elles vont se trouver piégées. Quoiqu’il s’agisse d’un authentique thriller d’une noirceur totale, la dimension sociale et ontologique en est si puissante qu’on ne peut pas se limiter à ressentir le vertige individuel des personnages. Le style est simple et factuel, l’architecture du roman foisonnante et fouillée, avec un souci permanent de clarté dans l’exposé des faits et des ressorts psychologiques. Tout au long du roman la faux dégage le terrain, si bien que ce qui a commencé avec de nombreux personnages dans des contextes différents finit comme en siphon avec le dernier pion à rester sur la dernière case de sa ligne, devenu dame, en une pirouette inattendue.

Lonnie

Out de Natsuo Kirino, Points

Photo © Adèle O’Longh