Perdrix
de Erwan Le Duc

Ce premier film réjouissant, bourré de trouvailles visuelles, entre burlesque et mélancolie, est réalisé par un ancien journaliste sportif (tout arrive !). Nous sommes dans une vallée des Vosges, il y a des gendarmes, dirigés par le capitaine Perdrix, qui n’est pas le plus barré des militaires d’une brigade surréaliste et irrésistible, à mi-chemin entre la permanence des Alcooliques anonymes et du point-dépôt SFR-La Redoute, mais offre la particularité d’avoir gardé un pied dans l’adolescence, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il vit toujours chez sa mère (incarnée par une très touchante Fanny Ardant), avec son frère (scientifique spécialisé dans les vers de terre, joué par un Nicolas Maury – l’homosexuel de la série Dix pour cent – épatant) et la fille d’icelui, qui joue au ping-pong en solo dans sa chambre en attendant de s’échapper de ce cadre familial un tantinet crispant. Notre gendarme va prendre la déposition d’une jeune femme lunaire et lunatique, aventurière mystérieuse parcourant la route au volant de sa vieille guimbarde orange, avec ses (248) carnets secrets, véhicule que vient de lui chouraver une créature nue faisant partie d’une confrérie naturiste installée dans la forêt ! Le rôle de Juliette Webb est tenu par Maud Wyler, saisissante de naturel et de drôlerie, qui pourrait rafler le César du premier rôle féminin s’il échappait à Sara Forestier. Après des péripéties dignes de Moulard, les tourtereaux, évidemment, finiront par s’aimer, au prix d’une gymnastique rhétorique pleine de rebondissements. D’où le vocable « comédie romantique » apposé par la production à ce film épatant, très drôle, un tiers burlesque british façon John Cleese époque Wanda, un tiers Otar Iosseliani, un tiers Wes Anderson. Avec, en prime, un quatrième tiers Le Duc, cinéaste à qui j’enverrais bien quelques-uns de mes romans les plus loufedingues – à commencer par les aventures du précité Moulard!

Cerise sur le gâteau : ce film comporte quelques scènes d’anthologie, aussi bien dans l’émotion (celle où Fanny Ardant, au cimetière, fait ses adieux à son mari mort depuis de nombreuses années ; celle où elle quitte ses enfants, sa valise à la main) que dans la drôlerie (la reconstitution hilarante d’une bataille de la Seconde guerre mondiale ; le quart d’heure improvisé « développement personnel » des gendarmes pendant les heures de services ; la déclaration d’amour du gendarme homosexuel plaqué à son capitaine…). On attend avec impatience le deuxième film d’Erwan Le Duc.

Jean-Jacques Reboux

Photo Jean-Jacques Reboux