Illustration Gina Cubeles © 2023

Qui a peur du point G ?
de Odile Buisson avec Pierre Foldès

Odile Buisson est la gynécologue-obstétricienne qui, sur la proposition de Pierre Foldès, chirurgien urologue, a été la première à étudier par échographie avec des femmes et des couples volontaires ce petit organe pas si petit que ça que la science s’ingéniait à ignorer avec assiduité, bien que l’ayant sous le nez depuis des siècles. Pierre Foldès s’est intéressé au clitoris à des fins de soin, et il a été en effet le premier à mettre au point une opération de réparation chirurgicale du clitoris après excision. Ce sont donc deux grands iconoclastes qui ont réalisé ce livre indispensable. Je dois ajouter que même si on ne partage pas, tant s’en faut dans mon cas, les points de vue passablement libertariens d’Odile sur la prostitution, la GPA et plus récemment sur la liberté d’importuner, ni son déni d’ailleurs de l’abus de pouvoir des praticiens sur les corps et partant sur les êtres, on ne peut qu’être enchantée de la vivacité de son écriture, de sa franchise frontale et de son humour, et vraiment ce livre réjouissant se lit et se relit comme du petit-lait, nous en apprenant autant sur le clitoris que nous avons entre les jambes que sur l’opiniâtre réticence des hommes à le laisser surgir, comme si chaque centimètre révélé de ce précieux organe était une amputation personnelle de leur appareil génital, prodigieusement documenté, lui, depuis la nuit des temps.

Le livre s’ouvre sur cette phrase lapidaire en introduction : « La famille dont je suis issue n’aimait pas les filles. » On y découvre l’enfant Odile rétive et curieuse comme une chevrette, essayant de pisser comme un garçon.

« Je dois remercier ici ma famille de ne pas avoir trop aimé les filles car ses membres ont inoculé chez moi le germe de la rébellion. Quant aux volées de mon père, elles m’ont appris le courage physique et installé une absence totale de peur vis-à-vis de l’autorité masculine : ni maître ni tribun. »

Le ton est donné. Cette véritable épopée ne manque pas de rebondissements et d’à-côtés, car Odile aime partager ses opinions, même si elles sortent un peu du cadre, peu importe, cela donne au bouquin un côté fouillis plutôt sympathique. Elle commence bien avant qu’Odile et Pierre s’attachent à rendre des images exactes et précises de clitoris vivants en action, par le travail de l’Australienne Helen O’Connel et son équipe, qui ont précisément décrit l’anatomie du clitoris à partir de la dissection d’une dizaine de cadavres, en 1998. Comme le fait amèrement remarquer Odile, c’est aussi l’année de l’arrivée en France du Viagra, mieux vaut tard que jamais. Le clitoris a donc été médicalement porté sur les fonts baptismaux l’année où les ratés érectiles des messieurs ont été massivement pris en charge. Quant au point G, on doit sa découverte à Ernst Gräfenberg, mort en 1957, qui lui a légué sinon son nom du moins son initiale. J’en profite pour rendre un hommage appuyé à ces hommes, peu nombreux et toujours en butte aux quolibets de leurs pairs et à l’hostilité générale, qui aiment vraiment le sexe féminin, l’aiment au point de s’intéresser aux mécanismes du plaisir, tels Foldès ou Gräfenberg, père par ailleurs du stérilet et qui aurait été très surpris, sans doute, de sa renommée posthume.

L’aventure du point G a ses instants comiques, quand l’impétueuse praticienne s’aperçoit un peu tard que la loi ne l’autorise pas à pratiquer des échographies sur un couple d’amis consentants, et qu’il faut pour cela une assurance.

« Rien que le mot « coït » a déclenché des paniques au bout du fil. Éloquent. On m’a réclamé un prix inouï et, évidemment, j’ai dû déclarer forfait. À ce moment, j’ai réalisé l’ampleur de la trouille et du scandale déclenché par un monsieur qui va et vient dans une dame. Je n’en suis toujours pas revenue : sont-ils fous ou imbéciles pour craindre ainsi l’étude des gestes de la sexualité humaine ? »

Pourtant l’intrépide équipe de pieds nickelés, amies et couples de cobayes dévoués à la cause des femmes, financeur enthousiaste, graphiste surdoué, arrive à réaliser la modélisation des modifications du clitoris pendant l’orgasme, jusqu’à la découverte qu’en effet l’érection du clitoris appuyé contre la paroi du vagin crée dans la fameuse zone G une petite tumescence intérieure. Bingo ! Ce n’est que le début de recherches qui ne sont pas encore terminées.

Le point G est le théâtre d’une véritable guerre scientifique entre ses détracteurs et ses adeptes. Odile Buisson s’amuse avec une certaine acrimonie du peu de cas qu’on fait, en règle générale, des témoignages des principales concernées. Il faut reconnaître qu’en la matière, le mansplaining dans des professions massivement dominées par les hommes tutoie les cieux. Encore aujourd’hui, la médecine du sexe féminin n’existe pas au sens où on ne s’intéresse qu’aux organes reproducteurs, absolument pas à l’organe du plaisir, au contraire de celle qui concerne les hommes. La phobie du plaisir féminin est probablement corrélée à l’angoisse du déclin masculin : « Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable ». En lisant Odile Buisson, qui ne se pose pas la question, on s’interroge sur les modalités d’une sexualité qui n’existe qu’à condition d’effacer l’autre. Car si certains hommes attachent leur plaisir à celui des femmes, la culture globale veut que le plaisir des femmes menace la puissance des hommes. Dans une société encore fortement viriarcale, elles devront aller chercher avec les dents jusqu’à la simple reconnaissance de leurs organes, c’est le constat. Il est à remarquer que la réticence masculine à faire du clitoris un sujet, voire un champ d’études scientifiques, est particulièrement prononcée en France, où on est attaché à l’idée que la jouissance d’une femme dépend de la virtuosité de ses amants et non de la santé de ses organes personnels. Si elles n’ont plus besoin de nous-même au plumard, que devenir ? Il en résulte que les troubles de l’orgasme féminin, qu’ils soient dus à des traumatismes de viols parfois épouvantablement précoces ou à des dysfonctions, sont pudiquement ignorés, et d’ailleurs ça n’a pas tant d’importance que ça pour les femmes, le plaisir. On se demande alors pourquoi elles sont équipées de cette Ferrari sexuelle exclusivement dédiée à l’orgasme, ne connaissant pas de phase de repos et pouvant les enchaîner avec de plus en plus de succès. La sexologie, en France, n’est pas une discipline académique. En Italie pourtant très catholique, les recherches sur la sexualité féminine ont pignon sur rue, ainsi qu’aux USA, où l’emprise de la religion représente quand même autre chose qu’en France. Ici la Faculté est hostile, l’Ordre boudeur. Odile Buisson parle de milieu encore fortement androcentré pour la médecine, bien que les femmes y soient plus nombreuses, et on veut bien la croire.

Le livre se clôt par la postface et l’annexe de Pierre Foldès. La première parle de « la dictature ou de l’oppression du chromosome Y », il y appelle un chat un chat, et le machisme un fléau universel. La seconde traite plus particulièrement de l’excision, sous le titre qui se passe de commentaires « Les crimes contre le plaisir féminin ». La situation mondiale y est détaillée sans prendre de gants. Elle est terrifiante.

La très belle couverture du livre est agrémentée d’une photo de femme nue dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est tout à fait chaste, mais pleine d’abandon. Voulant la partager il y a quelques années sur un réseau social connu de tous qui se distingue de plus en plus par une pudibonderie déplacée et contre-productive (tout ce qui est nudité est péché), je me suis fait interdire, et j’avoue m’être demandé si c’était à cause du titre, ou de la photo. Je me le demande encore.

Lonnie

Qui a peur du point G ? Le plaisir féminin, une angoisse masculine, Odile Buisson avec Pierre Foldès, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2011

Illustration Gina Cubeles © 2023