Post-rock down tempo à tendance chamanique
Ce récit se lit comme un roman, on s’inquiète pour les personnages, on espère qu’ils vont s’en sortir, que quelqu’un va les aider, et pourtant ce n’est pas du tout une fiction, c’est un essai qui raconte l’histoire du groupe américain post-rock Swans et de son leader Michael Gira.
C’est un essai qui se lit pas loin de son téléphone ou de son ordinateur pour avoir un accès aux chansons produites par ce groupe, en disque ou en live, dont parle si bien Benjamin Fogel. Cette expérience de lecture avec du son est passionnante tellement l’auteur, qui est aussi auteur de polars chez Rivages, sait bien raconter cette épopée, cette tension vers l’innovation et la densification, avec des échecs et quelques succès. Grâce à lui, on a envie de mettre de la musique sur les mots, nous voilà dans le premier cercle des amis de Michael, à assister à tous ses tourments, à les partager, mais aussi être là lors de ses moments de bonheur avec ce groupe.
Je ne connaissais pas cette formation, à peine avais-je entendu (récemment) parler de Sonic Youth, son alter égo plus lumineux, plus facile. Mais de Swans, jamais.
Si ce récit est un roman, il s’agit d’un roman noir. La jeunesse de Michael Gira est très sombre, avec des parents ruinés, alcooliques, séparés, des fugues à répétition, la drogue très tôt, plusieurs mois de prison pour deal d’herbe à 15 ans en Israël (!), son père qui le retrouve grâce à Interpol (j’ai du mal à croire ce que j’écris) et la résilience grâce au dessin, à la pratique artistique, le retour au lycée en Californie, puis le passage par des études graphiques qui lui donnent l’occasion de rencontrer la future fondatrice de Sonic Youth, peu avant de se prendre la vague punk dans la figure. A partir de là, il goûte à la scène gore (je pourrais vous raconter, mais c’est vraiment trash et le livre le fait mieux que moi), se met à la guitare et se lance dans l’aventure musicale avec une radicalité qui ne va pas se démentir pendant toutes les années qui vont suivre.
Ce qui contribue à l’ambiance roman, c’est d’une part le fait que Benjamin Fogel donne son point de vue régulièrement, c’est un narrateur impliqué dans le récit, et d’autre part c’est la carrière de Michael Gira, pleine de rebondissements, de chutes et de rédemption, de rencontres avec des personnages variés (notamment des femmes, qui le sauvent souvent) qui sont, comme dans un anime japonais, capables de relancer l’intrigue, parce qu’ils.elles ont des compétences musicales, qu’ils.elles apportent des idées à ce leader plein de certitudes et de doutes, lui permettent de se renouveler, d’avoir des financements, et même d’arrêter Swans en 1997 pour lancer d’autres groupes et de le reprendre treize ans après.
Pour définir la musique de Swans, il est facile de parler de post-rock, mais on peut dire aussi no-wave, noise, indus, metal, drone, doom. Derrière ces étiquettes peu satisfaisantes, se trouve un groupe qui refuse la facilité de la mélodie, qui choisit la sensation, le ressenti, la force de la répétition, la puissance du son, avec un chanteur qui a une magnifique voix de baryton mais qui donne souvent dans le déclamatoire saturé, avec des textes qui évoquent le sexe, la mort, l’inceste, le pouvoir, la misère, ou la religion comme dans Sex, God, Sex :
Venez en moi, Seigneur, venez maintenant
Venez en moi ; loué soit le Seigneur ! Gloire à Dieu !
Et je prierai pour que tu me pardonnes, j’irai au cœur de la Terre
Et je me roulerai dans les flammes, et je supplierai le Seigneur :
« Prends-moi dans tes bras cruels, ramène-moi à la maison »
Et je dirai : « Venez en moi, Seigneur, venez maintenant,
Venez en moi » ; loué soit le Seigneur ! Gloire à Dieu !
Swans et le dépassement de soi est un récit à lire pour peu qu’on aime la musique et les artistes. Et même si c’est une musique parfois difficile d’accès, avec un musicien que certains trouvent très aimable et d’autres trop colérique, qui est certainement sincère et authentique, Benjamin Fogel sait faire de cette histoire une épopée sombre et grandiose.
François Muratet
Swans et le dépassement de soi, Benjamin Fogel, Éditions Playlist Society, 2016
Photo © Adèle O’Longh