Buffalo
Avignon Off 2022
au théâtre Artéphile

En 1854 le chef des tribus indiennes d’Amérique prononça un discours face au gouverneur Isaac Stevens qui lui proposait des réserves dédiées : « Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? […] J’ai vu un millier de bisons pourrissant sur la prairie, abandonnés par l’homme blanc qui les avait abattus d’un train qui passait […] Qu’est-ce que l’homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait d’une grande solitude de l’esprit. Car ce qui arrive aux bêtes, arrive bientôt à l’homme ». Peu après, entre 1870 et 1880, 15 millions de bisons furent massacrés dans les grandes plaines de l’ouest américain et le chef indien ne pouvait imaginer que cette extermination correspondait à un plan concerté de colonisation comme l’expliquent les généraux américains : « quand l’Indien sera absolument dépendant de nous pour tous ses besoins, on pourra le maîtriser […] Si on tue le buffalo, on conquiert l’Indien, ça paraît plus humain de tuer les buffalos plutôt que les Indiens ». Chasse aux Peaux-Rouges plus que chasse aux peaux comme le retient la légende de l’Ouest.

Frank Mayer fut un de ces tueurs, il vécut jusqu’à 104 ans. Son récit sert de trame à Buffalo et montre comment le capitalisme coule dans les veines de l’Amérique dès les origines. On va jusqu’à recycler les ossements et carcasses qui serviront d’engrais dans les entreprises agroalimentaires. L’industrialisation débutante dicte la spécialisation des taches avec une hiérarchie des rôles du plus rémunérateur au plus dégradant, désosseur. Économie de balles et rentabilité maximum.
Julien Defaye, corps et voix, en compagnie de Nicholas Gautreau à la guitare Dobro, composent une ballade poétique d’une cruauté inouïe qui démystifie l’épopée du bison symbolique d’un ouest d’anthologie. Entre concert, lecture et théâtre, le comédien fait résonner le quotidien d’une gigantesque boucherie en plein air. Il a découpé des séquences de texte comme pour un album. La musique live avec les résonateurs du Dobro permet à l’acteur d’entrer charnellement dans le récit. La lumière d’Alexandre Mange ne se focalise pas sur l’un ou sur l’autre des protagonistes comme au cinéma quand on veut guider le regard du spectateur. Là, elle diffuse un clair-obscur ombré en noir et blanc et nous permet une écoute dynamique du récit. On ferme les yeux de temps en temps pour ne rien perdre de cette voix puissante et on se projette des images.

Frank Mayer est un salaud ordinaire. Jusqu’à sa mort il n’a éprouvé aucun regret car sa cause lui semblait juste, c’est ainsi, dit il, qu’on a pu construire les États Unis.  Le spectacle ne propose aucune morale, il pose des questions. Les deux comédiens musiciens sont justes de bout en bout, magnifiques de joie à partager cette histoire sanglante, allez-y !!!

Sylvie Boursier

Photo © Yoan Loudet

Buffalo, mise en scène et jeu de Julien Defaye avec l’accompagnement artistique d’Anne Cabarbaye.
Avignon Off – Du 7 au 26 juillet 2022 à 17h55, relâche les 13 et 20 juillet, Artéphile, 7, rue du Bourg-Neuf, 84000 – Avignon.
Tueur de Bisons de Frank Mayer, réédition Libretto 2013.
Partition Rouge de Jacques Roubaud et Florence Delay, Points 2007.