Ce roman raconte la disparition d’une mère par une glaçante journée d’hiver dans une Amérique bien sous tous rapports. L’auteure transforme les clichés américains – banlieues proprettes, motels anonymes, pom-pom girls en images ténébreuses et obsédantes. Le surnaturel surgit toujours sans crier gare, s’immisçant dans les situations en apparence les plus ordinaires.
Laura Kasichke influence nombre de romancières et romanciers hexagonaux, de Lola Lafon à Véronique Ovaldé. En France, c’est en 1999 avec A Suspicous River qu’elle conquiert son public. Aux Etats Unis, elle est davantage connue comme poétesse et ce roman-ci peut être lu comme un long poème en prose. Son texte dessine un monde à la normalité détraquée par un jeu d’associations d’images qui évoque parfois le surréalisme. Le fait le plus prosaïque, une virée au Mac Donald, devient une scène de rencontre avec l’inconscient. Son univers poétique est enveloppé par l’inquiétante étrangeté théorisée par Freud, cette part obscure qui se loge au cœur du familier. Dans une interview l’auteur confie : « J’ai lu et relu Freud. J’ai beau ne pas avoir suivi moi-même de psychanalyse, à l’exception d’une thérapie conjugale qui a abouti à un divorce, je me passionne pour l’inconscient. C’est ce qu’il y a de plus fascinant chez l’être humain ». Et nous nous enthousiasmons avec elle pour cette histoire familiale à la triangulation névrotique.
Le père ventre-mou, la mère qui hait son mari, déteste sa fille et l’aime à la fois, la fille adolescente qui porte en elle une violence inouïe contre son père et sa mère… Laura Kasichke aime cette période de l’adolescence, peut-être parce que sa propre adolescence a été quelque peu chaotique et donc très mémorable ?
L’univers de l’écrivaine crée un mélange de fascination et de désir. Sensation que son livre est rédigé par son inconscient. Sa langue est d’une beauté insensée et nous sommes envoûtés par cette histoire où l’auteure semble toujours receler un secret, ou le chercher.
Francine Klajnberg
Un oiseau blanc dans le blizzard de Laura Kasichke, Christian Bourgois, 2000
Photo © Gina-Cubeles 2022