M.O.L.I.E.R.E
et Alabama Song

M.O.L.I.E.R.E au Lavoir Moderne Parisien et Alabama Song à la Tempête, deux pièces à voir absolument.

« Qu’allait-il faire dans cette galère ? », « On ne voit pas les cœurs », « Couvrez ce sein que je ne saurais voir », « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », le verbe de Molière nous est familier ; on l’a découvert, parfois subi à l’école et il est le passage obligé des cours de théâtre. Tout semble avoir été dit, montré de l’auteur le plus joué au monde avec Shakespeare et Tchekhov.

Trois complices à l’énergie folle, Clément Beauvoir, Lucas Hénaff et Etienne Luneau, relèvent le défi de la nouveauté en écrivant une biographie imaginaire de l’illustre sociétaire dont les dialogues sont nourris de répliques issues de ses pièces. D’où le sous-titre « Méli- Mélo Oratoire Librement Inspiré d’Errances dans le Répertoire de l’Eponyme ». On y croise la famille Poquelin, le grand tragédien Montfleury, le prince de Conti caracolant sur son cheval, écroulé de rire aux blagues de Molière, le roi avec ses entrechats tel une rock star, Lully en crooner cabotin, les courtisans, les dévots, la troupe de l’Illustre théâtre. On passe très naturellement des digressions actuelles aux extraits de Molière sans rupture de rythme ; les acteurs citent leurs sources et en font un argument comique.

Un musicien accompagne le trio qui se métamorphose en 2 temps 3 mouvements, chaque comédien change de rôle comme de chemise et le génial dialoguiste fait mouche à chaque image. Bravo aux trois auteurs pour leur maîtrise de l’œuvre qui s’étend à des pièces peu jouées aujourd’hui comme Les fâcheux ou L’impromptu de Versailles. À quand un biopic sur Shakespeare et Tchekhov ?

Quoi de neuf ? Molière, selon l’heureuse formule de Sacha Guitry. On rit face à cette fantaisie poétique subversive ; elle rappelle le théâtre de tréteaux que, selon la légende, le jeune Poquelin adorait aller voir avec son grand-père sur les quais de Seine. Petits et grands, courrez y.

Dans Alabama Song, on retrouve Scott et Zelda Fitzgerald, le couple mythique « sexe, brandy, jazz et charleston », papillons de nuit brûlés sous les sunlights entre Long Island, Paris et la Riviera française. La postérité connaît surtout Scott, écrivain célèbre et météore de la littérature. Guillaume Barbot s’est intéressé à Zelda en adaptant le roman de Gilles Leroy paru en 2007. Il crée sur la scène de la Tempête un spectacle musical avec une piste de danse circulaire en fer à cheval et au centre trois musiciens comédiens. Lola Naymak incarne Zelda, cette femme à la vitalité fulgurante, qui danse, baise, boit, hurle, insoumise et amoureuse, considérée comme folle et internée en hôpital psychiatrique une grande partie de sa vie.

On voit la femme sacrifiée, l’écrivaine pillée par son créateur de mari, « femme artiste, trop vite enfermée, trop tôt disparue ». On se souvient sur ce même registre du couple Elia Kazan et Barbara Loden ; dans son unique film-culte Vers Wanda celle-ci créa le personnage d’une femme qui abandonne sa famille pour errer seule et s’attacher à un petit voleur ; elle finira par le suivre dans un hold-up dramatique. La réalisatrice déclara que l’histoire de Wanda était la sienne.

Zelda fit découvrir à son mari la psychanalyse et compara le contrat de mariage au « plagiat de la femme par l’époux ». Ce dernier pille les écrits de sa femme et les utilise pour ses propres textes, il la dissuade de publier sous son nom, se gausse de son enthousiasme pour la danse, pour la peinture. On dénie à Zelda le droit de s’occuper de sa fille. Elle périra carbonisée dans l’incendie du Highland Hospital, l’institution psychiatrique où elle faisait des séjours, à l’âge de 47 ans.

Sur le plateau le panache de cette génération perdue nous saisit ; Lola Naymak est le chef d’orchestre de cette partition tragique, tour à tour hystérique et catatonique, insupportable et incandescente, aucun filtre, aucune protection chez elle. Son jeu expressionniste alterne désespoir et extase avec pour seul moyen d’évasion, l’écriture. Guillaume Barbot comme Mathieu Bauer du Nouveau Théâtre de Montreuil aime conjuguer théâtre et concert pour notre plus grand bonheur.

Sylvie Boursier

Photo Alabama Song Catherine Bougerol.

M.O.L.I.E.R.E mise en scène d’Elsa Robinne, création au lavoir Moderne Parisien du 02 au 06 février 2022, tournée Ile de France et Val de Loire en mars, avril à la Châtre, Villemoison, Saint-Jean-de-Braye, festival off Avignon 2022 du 7 au 31 juillet théâtre des Barriques.

Le roman de monsieur de Molière de Mikhaïl Boulgakov, 1962 folios.
Alabama Song, texte de Gilles Leroy, adaptation et mise en scène de Guillaume Barbot du 5 au 16 janvier 2022, au Théâtre de la Tempête, tournée en février à Saint-Michel-sur-Orge, Saint-Ouen-l’Aumône, Chelles, Pontault-Combault, Mitry-Mory, Chevilly-Larue, festival off d’Avignon 2022 théâtre de la manufacture.

Alabama Song, de Gilles Leroy, mercure de France 2007.
Accordez-moi cette valse de Zelda Fitzgerald, éditions Robert Laffont 2008.