Cabaret de l’exil
Femmes Persanes
au théâtre équestre Zingaro

« Le voile noir ne me cache pas, mon visage découvert ne me dénude pas, comme le soleil je brille derrière le rideau et les ténèbres ne sauraient me faire masque […] Au lieu de voiler mon visage, ô conseiller mal venu, jette un voile sur tes pulsions coupables ! ». Fantômes sans visages et visages sans voix, d’ici on les imagine recluses, invisibles et muettes. Pourtant les femmes afghanes et perses rusent et écrivent, telle la poétesse Bahàr Sa’id, auteure de ces vers cristallins. Elles chantent, voltigent, jouent du luth, du tombak et du kamancheh dans la carte blanche donnée par Bartabas au Fort d’Aubervilliers. La roulotte Zingaro célèbre les temps anciens ou femmes et hommes chevauchaient de la mer Caspienne à Ispahan ; sur l’arène les femmes tiennent la barre, une musicienne pirate ajuste son sextant en hauteur et rythme les tableaux de son gouvernail rose des vents.

Sur le lac de la piste rouge sang, se mirent les ânes, les cavalières et leur monture. Leurs drapeaux sont leurs cheveux, crinières lâchées au vent d’une course circulaire vertigineuse. Elles accompagnent de la voix et du poing tendu leurs numéros de voltiges. Certaines scènes sont inoubliables, comme cette danseuse derviche soufie qui tourne sur un petit plateau au milieu de l’eau tandis qu’un cheval blanc galope à toute vitesse semblant ajuster son rythme à celui de sa partenaire. Ou encore cette silhouette capillotractée vêtue de noir qui effectue des figures, accrochée dans les airs par son chignon sur une chorégraphie à couper le souffle. A grandes enjambées elle glisse à la surface du lac gelé comme une onde.

« Ton amour, c’est de l’eau, c’est du feu, et des flammes me consument et des vagues m’engloutissent » la poésie persane sertit chaque tableau, comme un diamant. Loin du performatif, le spectacle célèbre la beauté non sans humour avec cette course à dos d’ânes capricieux et bourrus, de cheikhs portant manteau noir, turban et lunettes de soleil qui ferment la marche.

Troisième volet d’une trilogie de l’exil, ce cabaret est peut-être le plus beau, comme une invitation à découvrir la poésie persane et la culture millénaire qui résiste aux dictatures successives « me voici. Je suis moi. Je suis femme. Je suis monde. Et sur mes lèvres passe le chant de l’aube blanche ».

Sylvie Boursier

Cabaret de l’exil, Femmes Persanes, conception et mise en scène de Bartabas au théâtre équestre Zingaro, Fort d’Aubervilliers jusqu’au 31 mars 2024, à 19h30, dimanche 17h30.

Reprise du 08 novembre au 31 décembre 2024.

Le cri des femmes afghanes, anthologie de Leili Anvar, éditions Bruno Doucey

Œuvre poétique complète de Foroukhzad, Editions Lettres persanes

Photo © Hugo Marty