First love, le dernier yakuza de Takashi Miike

Le Lac aux oies sauvages, de Diao Yinan
First love, le dernier yakuza, de Takashi Miike
Deux films asiatiques (Chine, Japon) au banc d’essai (# 2)

First love, le dernier yakuza, de Takashi Miike

[Pour une meilleure compréhension, il est conseillé de lire la critique du film Le Lac aux oies sauvages avant de lire celle-ci.]

S’il n’a pas l’aura critique des « grands » cinéastes japonais actuels, Takashi Miike le doit sans doute à l’incroyable profusion de son œuvre : soixante films depuis 1991, ce qui fait que seuls les mordus de son cinéma peuvent suivre la production, tantôt sublime, tantôt plus banale, toujours délirante. On y trouve aussi bien le déjanté, quantique (et décevant parce que trop bavard) God’s puzzle, où une jeune physicienne surdouée décide de créer un univers grâce à un accélérateur de particules ; le film de samouraïs (13 assassins, Mort d’un samouraï), l’inclassable Gozu, l’horrifique et perturbant Audition et sa vengeance par acupuncture (qui conduisit votre petite nature de serviteur aux urgences de l’Hôtel-Dieu, suite à un malaise vagal, un matin de 2002), et quantité de films de yakuzas mêlant joyeusement action, humour, violence et imagination débridée.

Comme Le Lac aux oies sauvages, First love est un film de genre. Mais là où Diao Yinan donne à voir un film qui s’essouffle à force de traquer du vent, Takashi Miike assume son œuvre d’histrion. Il s’amuse et tire dans toutes les directions, avec ce cocktail survitaminé, au savoir-faire bluffant, aussi bien dans le domaine de la mise en scène que dans le scénario. Démesure, cruauté, violence poussée à son paroxysme, humour grinçant communicatif, autant par la cocasserie hilarante des situations que par les dialogues épatants.

First love. En français, premier amour. Leo, jeune boxeur surdoué, s’éprend de Monica, une jeune toxicomane prisonnière d’un couple sadique qui la contraint à se prostituer pour rembourser une dette de son père. Avant de tomber amoureux d’elle, Leo, tombe littéralement sur elle, alors qu’elle court dans la nuit, poursuivie par le fantôme hallucinatoire qui la hante depuis sa prime enfance, moteur de sa névrose, et par un malfaisant dont Leo la débarrasse d’un uppercut cinglant.

Le jeune homme et la jeune femme, contraints de rester ensemble, vont s’apprivoiser. Leo, atteint d’une tumeur incurable l’ayant contraint à abandonner ses rêves de boxeur, est bien décidé à bousculer sa timidité, et on ne doute pas que leur amour fleurira, malgré les dangers mortels auxquels ils sont confrontés, à cause d’un sac de drogue que tout le monde croit en leur possession. Et quand on dit « tout le monde », ce n’est pas une formule : yakuzas, triades chinoises, flic corrompu, petits truands, maquereaux, tueurs illuminés dont on ne sait pas tous pour qui ils roulent, ce qui n’a vraiment aucune importance tant le film est fluide, sans temps morts (mais avec des morts à la pelle), développant une énergie contagieuse, vous menant par le bout du rire et du nez, à l’opposé des figures de style clinquantes du Lac aux oies sauvages. Même si, bien évidemment, ce film de Takashi Miike est dans le droit fil (un fil tortueux !) de son cinéma : punch, action, dérision, pulvérisations en tous genres, entre comics et série B, kung-fu et manga, autant dire à des années-lumière du réalisme plus classique d’un certain cinéma japonais, dont ce réalisateur hors-normes n’a que faire.

Miike fait feu de tout bois. On est dans la comédie noire, la folie exacerbée, la cruauté à la découpe (avec un petit zeste de gore, histoire de rigoler un peu), la vengeance baroque et, au final, après quelques bras coupés – l’un des chefs yakuzas est lui-même manchot – une apothéose hilarante de règlements de comptes sous forme de dîner de têtes à Yakuza City jusqu’à épuisement des chefs, dans une sorte de Leroy-Merlin japonais qui pourrait être la réserve de l’accessoiriste du cinéaste aux 60 films. Les vingt dernières minutes, comme tout le film mais avec un petit rabiot de folie subsidiaire, sont absolument jouissives. Et la dernière séquence, sous forme de parenthèse animée, apporte une petite touche à la fois naïve et émouvante.

S’il ne faut pas prendre First love pour autre chose que ce qu’il est : un film d’action, de divertissement, il n’en reste pas moins que l’histoire d’amour contrariée entre Leo et Monica est une belle allégorie de ce qui peut donner chair à la traversée du désir de deux jeunes gens qui s’aiment. Au pays du Soleil Levant ou ailleurs.

Jean-Jacques Reboux