Les Femmes de la maison
théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis

Femmes au bord de la crise de nerfs ou pas, icônes de l’art féministe ou non encartées, femmes de personne ou au foyer, Pauline Sales dresse un tableau complet de figures féminines à trois époques différentes, les années 50, 70 et 2020.

L’important est l’adverbe, les Femmes de la maison, une « Villa Médicis » dans laquelle le propriétaire, Joris, unique homme du spectacle, accueille des femmes artistes sans contrepartie en nature, avec pour seule exigence le don d’une de leur œuvre à l’issue du séjour ; il réside ailleurs et n’interfère pas dans leur production. Le titre renvoie à une exposition de 1972 aux États-Unis organisée à l’initiative des artistes Judy Chicago et Miriam Shapiro, Womanhouse, qui avait pour thème l’espace domestique comme lieu d’aliénation des femmes. Au théâtre de Saint-Denis, le vœu de Virginia Woolf dans Une chambre à soi se réalise, un lieu de création dédié aux femmes.

Ce spectacle devrait être décrété d’utilité publique pour sa pertinence sociologique. Outre l’évolution des mouvements féministes, il révèle la permanence des rapports de classes aux différentes époques, par la confrontation entre les femmes artistes et les femmes à la maison, femmes de ménage et auxiliaires de vie qui gèrent l’intendance, toujours flouées quelles que soient les circonstances. « Elles œuvrent pour que d’autres s’émancipent, elles révèlent parfois le fossé qui les sépare » écrit très justement Pauline Sales. Le dialogue entre les deux mondes est féroce, tendre et drôle, fait d’incompréhension mutuelle.

Aucun cliché dans cette mise en scène ciselée, servie par de grands comédiens, Olivia Chatain, Anne Cressent, Hélène Viviès et Vincent Garanger. Dans la première période, une femme écrivain se réfugie entre deux dépressions dans la maison pour échapper aux servitudes familiales. L’atmosphère est tamisée, le jeu des acteurs relativement classique, appuyé parfois comme une « Cerisaie » des années 50 dans un pavillon de banlieue. Le décor change du tout au tout ensuite. Nous sommes projetés dans la comédie musicale Hair en Californie avec un féminisme de combat et son lot de happening. Les trois comédiennes jouent collectif, se métamorphosent en un instant et incarnent l’outrancière vitalité des luttes pour l’accès aux droits, à l’avortement, à la libre disposition de son corps, à l’expression artistique et politique. Un des moments forts est le récit d’Annie qui grâce au féminisme eut accès à l’éducation et put s’affranchir de son milieu d’origine, « chez moi on n’avait pas de livres, pas de tableaux, tous ces trucs. La musique c’était la radio […] Annie enseignera à ses étudiantes à parler et examiner ce qu’elles aiment, admirent, adorent, plutôt que ce qu’elles contestent, détestent, critiquent […] elle trouvera toujours d’autres choses à faire comme gagner de l’argent, militer, créer, faire l’amour. » Elle « bouffe de la chatte » Annie, flamboyante de sororité.

Les mobiles du généreux mécène Joris restent mystérieux, peut-être la fidélité à son amour ancien pour une femme artiste. En tout cas il n’a rien de machiste ni de paternaliste, preuve qu’une égalité est possible entre les sexes.

Pauline Sales brasse un peu large, wokisme, écriture inclusive, intersectionnalité, au risque de longueurs, mais l’ensemble reste percutant ; allez voir ces artistes chevronnés, d’une justesse sans failles. L’auteur les connaît tous depuis longtemps, elle a écrit ce spectacle pour eux et leur complicité fait chaud au cœur. Un grand spectacle !

Sylvie Boursier

Photo © Jean Louis Fernandez

Les Femmes de la maison, écriture et mise en scène de Pauline Sales, du 11 au 22 mai au TGP de Saint-Denis, reprise à prévoir.
Texte édité aux Solitaires Intempestifs, printemps 2021.