Madame Barjot après avoir brillé dans des émissions où défenseurs et opposants du mariage pour tous n’avaient en commun que leur faiblesse argumentaire avait été dépassée sur sa droite par Ludovine de la Rochère qui, si elle avait jeté un œil dans le rétroviseur de son bolide à réaction, aurait aperçu la même Barjot sur le bord de la route, hébétée de la fuite en avant de ses troupes, surprise d’avoir été doublée, érodée jusqu’à la destruction par son impardonnable et galopante niaiserie dont elle possédait l’air et la chanson.
Voilà-t-y-pas que les débats sur la PMA, GPA relancent la carrière d’opposante aux travaux déjà finis de ladite Ludovine.
Le schéma est le même que la dernière fois ; attirer l’attention sur le fait que les enfants nés de pareilles turpitudes ne pourront jamais bénéficier de la même considération que les autres. Étrange parce que, justement, ce droit à l’indifférence sera nié par ces même dames patronnesses, appuyées tant qu’il faudra par le tout-venant de ceux pour qui point de salut hors le modèle qu’ils représentent. Au nom du Christ, du pape et du bricolage de quelques concepts juridico-scientifiques, c’est entendu. Alors même qu’il faudra bien admettre que Marie avait assuré la gestation du Christ pour un autrui certes divin mais autrui quand même, et dans une configuration de procréation divinement assistée, poser sur la table, et dans l’outrance, le mode de gestion d’enfants vivants ne peut avoir que la fonction de menacer : voici ce que nous allons faire ; remiser ces enfants à leur statut de bâtards, ne jamais leur reconnaître les mêmes droits qu’aux nôtres conçus et élevés dans la crainte divine, nous voilà prévenus.
Qu’on s’entende bien, le mariage pour tous n’est pas la question, la PMA et la GPA non plus, non, ce qui est en cause, c’est le ton. La façon de mettre au débat public le sort à réserver à des enfants qui nous regardent, nous écoutent et nous entendent donne à l’invective feutrée de la bourgeoise le ton de l’antique et regrettée poissonnière.
Comme dans une des premières scènes des fureurs invisibles du cœur, de John Boyne, où le curé en plein office insulte jusqu’à l’âme la pécheresse portant l’enfant conçu hors mariage, l’obligeant à la fuite des siens, à l’éloignement de son foyer, à ôter des vues chastes l’enfant condamné à ce même sort de n’avoir pas de refuge. On est dans la trop catholique Irlande dans le juste après-guerre. C’est une circonstance, allez savoir quelle est la nôtre aujourd’hui.
Le chemin de l’enfant se poursuit, on n’est pas obligé de se définir dans une verticalité générationnelle, on est sans doute fils de mais pas seulement, d’autres choses nous définissent. Seulement voilà l’enfant est homosexuel. Reconfrontation à ceux qui se contentaient de nier la légitimité de son ascendance qui vont nier désormais celle de son existence, dans la brutalité physique parfois, dans le mépris et la défiance sans repos.
Le périple de cette vie portant tant de défauts originels est évidemment chaotique. John Boyne nous y entraîne sans épargner au narrateur la confrontation à ses propres médiocrités. Mais enfin, face au monde entier, face à ces auto-déclarés porteurs de la décence, face au silence généralisé, il s’agrippe, il survit, il vit avec une force égale sans doute à celle de son écriture. Et cette écriture nous guide, nous emporte, crée le plaisir, cette délectation de la proximité avec des personnages dont elle fait des personnes et finalement classe l’œuvre au rang des grands romans.
Christian Vigne
Les fureurs invisibles du cœur, de John Boyne, éd J.C Lattés